•      Gaza, « le monde se ferme sur nous »

    Par Laila Al-Haddad
    Journaliste à Gaza

    A la suite du désengagement de Gaza, au mois d’août 2005, les forces israéliennes ont employé des moyens nouveaux, largement disproportionnés, contre la population civile, officiellement dans le but de détruire la force de frappe des roquettes palestiniennes. Les déflagrations ont provoqué des scènes d’hystérie collective et terrorisé toute la population... Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), huit mille obus seraient tombés entre mai et juin.

    Nous dormions dans le vacarme du pilonnage, des échos des obus explosant à quelques kilomètres de nos maisons. Ils tombaient pendant notre sommeil. Ils tombaient encore pendant la prière du matin.

    Israël a fermé systématiquement le point de passage Al-Mintar, par lequel transitaient les marchandises, affichant des pancartes « Mesure de sécurité ». Cela a représenté la perte de millions de dollars pour les agriculteurs, et pour l’économie en général (sans compter l’épuisement des stocks de vivres et de médicaments).

    J’ai été envahie par ce sentiment que traduit la formule du poète Mahmoud Darwich, « le monde se ferme sur nous ». On se sentait impuissant, écrasé, face à une puissance effroyable, plus grande que la vie, semblant croître et muter tous les jours. Aucun endroit ne permettait d’être à l’abri de ses coups.

    Cela vous écrase, instillant en vous le sentiment que vous êtes abandonné et rejeté, jusqu’à ce que vous vous sentiez tout à fait seul, même au milieu d’un million cinq cent mille autres êtres humains. Si je regardais le ciel, en entendant les obus tomber, ou en voyant au clair de lune les hélicoptères de combat traverser le ciel vers leurs cibles, je me demandais : « Est-ce qu’ils me voient ? » Et quand les bombardements recommençaient, je ne pouvais m’empêcher d’imaginer le bonhomme de 18 ans qui, s’ennuyant sur la frontière, largue sa cargaison d’obus, toutes les deux minutes. Parfois, je m’abandonnais et je levais les bras au ciel, dans leur direction. Est-ce qu’ils m’entendaient ?

    Gaza était devenu un enfer sur la terre, ses habitants encerclés de toutes parts, privés de leurs libertés fondamentales, dépossédés de leurs droits et de leur souveraineté, et dont on attendait pourtant qu’ils se soumettent et qu’ils acceptent leur destin. Est-il surprenant dans ces conditions que, selon un récent sondage, une majorité écrasante de Palestiniens souhaitent que la libération des otages israéliens se fasse avec une contrepartie ?

    Ce que certains trouveraient peut-être plus surprenant, c’est que, en juillet 2006, 65 % des Palestiniens se déclarent favorables, à différents degrés, à la reprise des négociations avec Israël. Au lieu de répondre aux mains tendues, Israël a bombardé nos villes, confisqué nos aides, fermé nos frontières, prétextant le manque d’interlocuteur crédible, quel que soit la personne ou le parti au pouvoir.

    Alors que je couvrais l’effondrement du mur de Rafah, en septembre 2005, celui qui nous isole de l’Egypte, j’ai remarqué deux jeunes garçons palestiniens – ils n’avaient pas plus de 9 ans – qui scrutaient par-dessus un pan de la barrière les séparant depuis si longtemps de la ville jumelle, côté égyptien. Je leur ai demandé ce qu’ils faisaient. Ils m’ont dit qu’ils n’avaient jamais mis les pieds hors de leur camp de réfugiés, au sud de Gaza. Ils voulaient voir de quoi avaient l’air cet autre monde et ces autres gens. Quel meilleur exemple de l’isolement de la ville ?


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