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Par demhaitam le 2 Novembre 2006 à 20:08
Israël dans le contexte du « clash des civilisations »
Conférence Commission islamique des droits de lhomme Londres, juillet 2006
« De ce point de vue, il serait totalement erroné de chercher les racines du sionisme dans la religion juive ou dans lexpérience juive : le sionisme est enraciné dans lhistoire politique et la philosophie moderne européenne. »
LEtat dIsraël est le produit dun mouvement politique, le sionisme, qui visait à offrir une solution à la « question juive » - cest-à-dire à lémergence de lantisémitisme moderne en Europe à la fin du 19è siècle. « La question palestinienne » est le résultat direct du choix unilatéral de résoudre la question juive par la création dun Etat juif en Palestine, sans prendre en compte lexistence et les droits de la population autochtone.
Un mouvement colonial pour un Etat ethnique
Le sionisme est une idéologie et un mouvement politique qui est doublement le produit de son temps, la fin du 19ème siècle et le début du 20ème :
quant à son objectif : une conception ethnique de la normalité politique et laspiration à créer un Etat ethnique ;
- quant aux moyens pour atteindre cet objectif : la colonisation.
De ce point de vue, il serait totalement erroné de chercher les racines du sionisme dans la religion juive ou dans lexpérience juive :
le sionisme est enraciné dans lhistoire politique et la philosophie moderne européenne. La religion na fait que procurer quelques justifications et récits à une idéologie nationaliste moderne et à un mouvement colonial.Comme tout autre mouvement colonial, le sionisme est, dans sa nature même, unilatéral : le sort et les droits des autochtones nont aucune importance dans la réalisation du projet colonial. En tant que projet visant à la création dun Etat juif - dans le sens démographique du concept, cest-à-dire composé, autant que possible seulement de juifs - le sionisme combine des dimensions de nettoyage ethnique et dapartheid.
Un courant marginal
Quand le sionisme a émergé dans les communautés juives dEurope centrale et orientale, il était un phénomène marginal et le resta jusquen 1933. La grande majorité des juifs européens étaient soit religieux soit socialistes. Dans les deux cas, ils étaient ouvertement opposés au sionisme.
Pour les juifs religieux, lidée de créer un mouvement politique pour mettre fin à lexil était une sorte de blasphème : Dieu nous a expulsés de notre Terre et nous a envoyés en exil comme punition pour nos mauvais comportements ; et Dieu seul nous ramènera sur la Terre sainte. De plus, en tant que mouvement antireligieux - pour lessentiel -, le sionisme était perçu par les rabbins comme une menace potentielle pour leur hégémonie, en particulier les composantes socialistes.
Quant aux divers mouvements socialistes au tournant du siècle, ils étaient (à lexception du Poalei-Zion-de-Gauche, groupusculaire) opposés au sionisme considéré soit comme un courant bourgeois, ou comme une « idéologie dérivative » et ils soutenaient que la solution à la question juive ne se trouverait que par la démocratisation résultant dune révolution socialiste victorieuse. Alors que quelques-uns voyaient la solution à la question juive par lassimilation dans la majorité, dautres, comme le Bund, la prévoyaient dans lautonomie culturelle nationale.
En Palestine même, au début de la colonisation sioniste, les pionniers nétaient pas plus quun groupe didéalistes lunatiques, une petite minorité parmi les juifs de Palestine très largement opposés à ces intrus quils percevaient comme des sortes de communautés hippies, complètement coupées de la réalité.
La contribution du nazisme
La montée du nazisme en Allemagne, puis la terreur de masse nazie dans toute lEurope, a fourni la base matérielle de la transformation du sionisme en une option politique pensable, ayant des chances de réussir, réaliste. Cette transformation sest établie en deux étapes, initialement dans les années 1930 puis après la guerre.
Les lois et pratiques nazies contre les juifs dans les années 1930 ont induit non seulement une immigration juive de masse en Palestine, mais une immigration dotée à la fois dun haut niveau technologique, scientifique et intellectuel et dun montant assez élevé de capital à investir dans léconomie et la société juives. Sur le plan à la fois quantitatif et qualitatif, la colonie juive (Yishuv) se transforma dune communauté utopique en une réalité sociale moderne.
Après la guerre, la masse des réfugiés juifs survivants du génocide nazi a fourni non seulement un réservoir humain pour lEtat juif en construction, mais aussi un solide argument pour la communauté internationale dans son soutien au projet sioniste dun Etat juif qui accueillerait les centaines de milliers de survivants que lEurope nétait pas intéressée à intégrer.
Le sort des Arabes de Palestine et de leurs droits légitimes ne pesa pas lourd dans les calculs cyniques et la mauvaise conscience de la communauté internationale, et ils devinrent les victimes des victimes de lantisémitisme européen, tout en nayant participé daucune manière au génocide des juifs dEurope.
Un mur de séparation
La séparation est au cur de lidéologie sioniste. Comme beaucoup de philosophies nationalistes de la fin du 19è siècle, le sionisme identifie normalité avec homogénéité. Une société normale est une société qui a le moins possible de minorités ; un Etat normal est un Etat ethniquement homogène.
Cest pourquoi selon le sionisme, les juifs doivent quitter lEurope et établir leur Etat, un Etat démographiquement aussi juif que possible. Cest pourquoi un tel Etat - lEtat dIsraël - ne pouvait être construit que par une guerre de nettoyage ethnique, expulsant la grande majorité des population arabes autochtones.
De ce point de vue, bien avant que lactuel Mur ne soit construit, Israël sest entouré dun mur de séparation et dune série de lois, règles et pratiques dont le but était de conserver la nature juive de lEtat et de rendre aussi difficile que possible toute forme dintégration dans lespace environnant. La définition horriblement raciste dEhud Barak - « nous sommes une villa au cour de la jungle »(sic) - résume cette approche dIsraël comme une île de civilisation devant être protégée contre son environnement barbare. Cette perception sintègre dans une conception plus large de la place dIsraël dans le monde et de ses fonctions contre ceux qui sont définis comme barbares.
Un Mur contre les barbares
Depuis sa mise en place, et afin de recevoir le soutien nécessaire des grandes puissances, le sionisme a essayé de vendre à ces dernières le bénéfice de ce quun Etat juif pourrait leur apporter. « Un mur pour protéger la civilisation (chrétienne) contre les barbares (musulmans) » promettait Theodore Herzl aux puissances européennes ; Haim Weizman promettait quant à lui à Lord Balfour un client qui défendrait les intérêts britanniques contre les Arabes... et les Français ; « un mur dacier que les populations natives ne pourraient briser » expliquait Zeev Jobotinsky, lun des principaux idéologues sionistes des années 1920 ; et Gershom Shoken réadapta cette conception dun mur dans le contexte de la guerre froide : Israël, comme protection du « monde libre » contre le communisme.
Dans la perception quil a de lui-même, lEtat dIsraël est une extension du camp de la civilisation dans un environnement hostile. Dans presque toute son histoire, ce « camp de la civilisation » fut le « monde libre » conduit par les Etats-Unis dAmérique contre le « camp communiste » et, dans une moindre mesure, contre le « Tiers-monde » et les mouvements de libération nationale dans le monde entier.
La stratégie des néoconservateurs
Au milieu des années 1980, avec la chute de lUnion soviétique, une nouvelle stratégie globale fut élaborée pour les Etats-Unis en tant quunique superpuissance dans le monde. Cette stratégie était à la recherche dun nouvel ennemi global et elle identifia cet ennemi comme « le terrorisme international », bientôt devenu synonyme de « terrorisme islamiste ». Les comités dexperts et les centres de recherche qui étaient derrière la mise en ouvre de cette nouvelle stratégie - le courant néoconservateur - étaient composés de laile droite des Républicains étasuniens et des théoriciens et politiciens du Likoud israélien. Linfluence des partenaires israéliens était si grande que leurs collègues américains étaient souvent étiquetés comme « les Likoudniks du Parti républicain ».
Parmi les néoconservateurs, un courant transforma la (très discutable) analyse descriptive de Huntington sur le « clash des civilisations » en une stratégie basée sur une croisade sans fin de la civilisation judéo-chrétienne contre lislam. Progressivement, les différences sestompèrent quasi totalement entre la guerre globale préventive et sans fin contre le terrorisme (islamiste) et le clash des civilisations.
Les néoconservateurs israéliens ont conquis le pouvoir six ans avant leur contrepartie étasunienne avec lassassinat de Yitshak Rabin quils ont largement provoquée - et ils furent capables de tester la politique et la rhétorique néoconservatrices avant les conseillers politiques de Georges W. Bush. Les Palestiniens (et les Arabes en général) étaient désignés comme « la terreur », et le conflit israélo-arabe était défini comme une guerre permanente préventive contre la menace islamiste. Israël se percevait lui-même comme la ligne de front dans la défense de la civilisation (judéo-chrétienne) contre le terrorisme (islamiste), la guerre de destruction totale contre le peuple palestinien étant alors une nécessité pour la sauvegarde de la civilisation - et il essayait den convaincre le monde.
Larrivée au pouvoir de ladministration de Bush Jr en 2001 donna pleinement légitimité et soutien à cette stratégie brutale et sanguinaire, spécialement après le 11 septembre. Et ce, jusquà ces jours-ci.
Dans cette perspective, de la même façon que la destruction de la Palestine fait partie dune guerre globale et permanente, le mur qui est construit au cour de la Cisjordanie nest pas seulement une séparation entre Israéliens et Palestiniens mais un Mur global entre le « monde civilisé » - cest-à-dire Israël, lEurope, lAmérique du nord - et dautre part les barbares - les Palestiniens, les Arabes, les musulmans, voire tous les pays du « Tiers monde ».
Néo-antisémitisme, manipulations et réalités
Au début de ce siècle, une puissante campagne médiatique fut propagée en Europe autour de la prétendue montée dun « néo-antisémitisme » de masse dans toute lEurope, et en France en particulier par les dirigeants (minoritaires) de laile droite pro-israélienne de quelques communautés juives européennes.
Le fait que toutes les recherches menées par des institutions fort connues et respectées ont prouvé que la tendance générale était au contraire la diminution de lantisémitisme en Europe et en vérité le déclin substantiel des sentiments et comportements anti-juifs na pas stoppé cette campagne qui nétait pas intéressée à combattre lantisémitisme mais poursuivait trois objectifs :
faire taire quiconque osait critiquer les crimes dIsraël commis pendant cette période dans les territoires occupés, en taxant toute critique dantisémitisme ;
- délégitimer nimporte quel type dactivisme musulman ou arabe comme antisémite (lusage du terme « néo-antisémitisme » visant à affirmer que le danger nouveau et réel nétait plus lantisémitisme de la droite (pourtant réellement existant) mais une nouvelle judéo phobie (cachée) des musulmans et des gauchistes, déguisée en antisionisme voire en critique de la politique dIsraël ;
- tenter de forcer les juifs de rejoindre leur tribu, puisque dans la perception néoconservatrice du monde, chacun appartient à une tribu qui devrait rester hermétique.De surcroît, dans toute lEurope, les dirigeants israéliens lies à la droite israélienne sont prêts à se présenter eux-mêmes ainsi que les communautés quils prétendent - faussement - représenter, comme lavant-garde de la croisade antimusulmans dans leurs pays respectifs, utilisant souvent lantisémitisme comme larme centrale de telles attaques (laffaire Tariq Ramadan en France en est un exemple classique). Leffet en est que certains musulmans - notamment parmi les jeunes - commencent à percevoir les juifs comme leurs principaux ennemis et ceux qui sont responsables de la discrimination, de lexclusion et du racisme dont ils souffrent.
Est-ce par hasard si la plupart des idéologues de la soi-disant « civilisation judéo-chrétienne » qui poussent les juifs à lavant-garde de leur croisade sont bien connus pour leur antisémitisme, comme cest le cas par exemple des fondamentalistes protestants étasuniens du Parti républicain ou certains courants de lextrême droite catholique française ?
En plaçant les juifs sur la ligne de front de leur propre croisade, ils préparent cyniquement le terrain dune nouvelle vague dantisémitisme, tout en camouflant leur propre responsabilité dans le sort des minorités musulmanes opprimées dans leurs pays. Une très vieille histoire : des dirigeants juifs dans un jeu aux mains de leurs ennemis et préparant ainsi leur propre tombe...
Taayush
Contre les stratégies du « clash des civilisations » visant à recoloniser le monde et établir un système globalisé dapartheid, on doit établir, comme une priorité suprême, une contre stratégie visant à briser les murs de lapartheid et à construire une alliance transcivilisationnelle. En Israël/Palestine nous le faisons sous le titre du Taayush - un mot arabe signifiant « vibre ensemble » - un partenariat juifs/arabes visant à créer non pas une paix et coexistence illusoires, mais à les rendre possibles dans le futur en construisant une lutte commune.
Taayush devrait être la bannière de tous les hommes et femmes, dans le monde entier, qui rejettent le système dapartheid globalisé et aspirent à lutter pour établir une nouvelle ligne de clivage : non pas entre races ou religions, mais entre les croisés néolibéraux et tous les peuples du monde, qui de Mombai à Liverpool, de Porto Alegre à Seattle, Genève, Séoul et Jénine, crient ensemble « un autre monde est possible » .
Cette lutte pour un autre monde possible sera un front transcivilisationnel ou elle sera condamnée à léchec. Nattendons pas quil soit trop tard.
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