• La mort violente de George W.Bush… Pour les besoins d’un documentaire-fiction

    par Michel Porcheron

    Le 38 e président des Etats-Unis (1974-1976), Gerald Ford est décédé le 26 décembre à l’âge de 93 ans, à son domicile californien. Paisiblement, selon son épouse Mme Betty Ford. Le 43 e président lui est mort …de mort violente le 19 octobre 2007, pour les besoins du documentaire-fiction du Britannique Gabriel Range, Death of a President, qui vient d’être présenté lors du 20 e FIPA (Festival International de Productions audio-visuelles) de Biarritz, Pays Basque, France (23-28 janvier) (1).

    Ce 43 e président américain est plus connu sous le nom de George W. Bush.

    Entre ces deux locataires de la Maison Blanche, il y a quelques points communs et un gouffre, le 11 septembre 2001. Parmi les premiers, on notera une certaine propension aux maladresses en tout genre. Il arrivait au premier, au «bon vieux Jerry» (1) de trébucher – mais qui n’a jamais trébuché en descendant les marches d’une passerelle d’avion? – mais son trébuchement majeur lui valut d’être le deuxième président US à encaisser une défaite militaire des Etats-Unis, au Vietnam après la chute de Saigon le 30 avril 1975 (le premier étant JFK, après la déroute de la Baie des Cochons). Dubb’lyoo fait plus que «trébucher » en Irak. Il y creuse sa tombe. Quelques uns de ses amis républicains y voient même une attitude suicidaire.

    Personne (à part quelques exaltés) ne souhaite la mort violente d’un président américain et quand elle se produit, elle est le fait d’exaltés américains, qu’il s’agisse d’Abraham Lincoln (1865, John Wilkes Booth), de James Garfield (1881, Charles Jules Guiteau), William McKinley (1901, Leon Czolgosz) John F. Kennedy (1963, complot). Le candidat présidentiel Robert Kennedy a fini lui aussi criblé de balles (1968). En prime, on peut citer quelques tentatives d’assassinat, comme celles visant F. Roosevelt (1933), Harry Truman, Gerald Ford (Sara Jane Moore) et Ronald Reagan (1981, John Hinckley). Pour être complet, un autre président, Richard Nixon a été «tué» politiquement par les fuites sur le scandale du Watergate, qui l’a acculé à démissionner, une première dans l’histoire des Etats-Unis. Enfin un procureur général Kenneth Starr a failli avoir la peau du président William «Bill» Clinton, menacé d’ «impeachment» pour la minable affaire Lewinsky.

    Est-il utile de rappeler que le 43 e président des Etats-Unis, avec son expédition en Irak, est à l’origine de la mort violente d’un plus grand nombre d’Américains que celui tragiquement enregistré après les attentats criminels des Tours Jumelles à New York le 11 septembre 2001?

    Dans tous ces cas, la réalité —dramatique— a dépassé tout ce que la fiction aurait pu imaginer.

    Pourtant 1H33 de fiction de Gabriel Range sur la «mort» du président Bush a horripilé une partie des Américains. Sorti aux Etats-Unis en octobre 2006, plusieurs exploitants et patrons de salles ont refusé de le projeter. Regal Entertainment Group et Cinemark USA n’ont pas voulu le distribuer et CNN l’a ignoré. Pourtant la réactionnaire Fox News a montré quelques spots du film.

    Dès septembre, à Toronto, Canada, où D.O.A.P (sigle en anglais du film) a obtenu le prix de la critique internationale du 32 è Festival International du Film, le documentaire a crée l’évènement et provoqué controverses et polémiques.

    Car de quoi s’agit-il? Gabriel Range part de l’hypothèse de l’assassinat du président actuel, soit G.W. Bush, aux seules fins d’en étudier les conséquences «absolument terribles» aux Etats-Unis et hors du territoire américain. Et si George W. Bush était demain victime d’un meurtre ? Se produiraient des catastrophes en série, aux dimensions des catastrophes en série qui ont ponctué sa prestation présidentielle.

    Début du synopsis, selon le FIPA (www.fipa.tm.fr/fr  ): nous sommes le 19 octobre 2007, le président Bush atterrit à l'aéroport O'Hare de Chicago dans l'après-midi. Il est venu s'adresser aux grands patrons locaux. Une importante manifestation anti-guerre a été organisée pour marquer la visite du Président. Tous les services de sécurité sont en alerte. Le commissaire Greg Turner, premier adjoint de la police de Chicago, semble préoccupé par la présence de plusieurs militants non identifiés parmi les manifestants. L'atmosphère se tend lors du passage du convoi présidentiel. Quelques échauffourées éclatent. À 19h11, Bush entre dans l'hôtel, il serre des mains et discute avec la foule. Il s'apprête à entrer dans sa limousine lorsque Larry Stafford, le responsable de la protection du Président, entend une détonation, puis c'est le chaos. Le Président a été touché, Stafford le pousse à l'intérieur de la limousine. Il est atteint à la poitrine. La voiture fonce vers l'hôpital. Tandis que la nouvelle de la mort du président fait le tour des médias américains, Robert H. Maguire, agent du FBI de Chicago, dirige les opérations de recherche du tireur. Des témoins confirment que les coups de feu ont été tirés du 422 North Park, un grand immeuble qui fait face à l'hôtel. Toutes les personnes se trouvant dans les environs sont retenues par la police. Parmi elles, un Syrien, Jamal Abu Zikri, soupçonné d'avoir quitté le bâtiment à peu près au moment où les coups de feu ont éclaté…

    Dick Cheney évalue la possibilité d'une intervention armée contre la Syrie. Mais si l’assassin était plutôt le père d'un soldat mort en Irak?

    En France, la chaîne cryptée Canal + a, en avant-première, mis dans ses programmes du 23 janvier la première diffusion de la fiction de Range, qui a ouvert le FIPA de Biarritz le même jour.

    Selon Canal +, le film a été réalisé «selon les codes du documentaire d’investigation. Mêlant images d’archives et scènes jouées par des comédiens (le visage de George W. Bush ayant été incrusté numériquement sur celui d’un acteur pour la scène de la fusillade), Death of the President se défend d’être une attaque personnelle contre le président des États-Unis et se présente comme une réflexion sur la manipulation par les médias et le pouvoir des images d’information».

    Gabriel Range voit dans son film une métaphore du 11 septembre pour mieux examiner son impact sur les consciences américaines. C’est, selon lui, une méditation sur tout ce qui est arrivé pendant les cinq dernières années. «Pour parler du 11 septembre, il faut le comparer à quelque chose d’extrême et de dévastateur, comme la mort fictive du Président Bush (...) La Guerre en Irak et ses conséquences ont remis en question les valeurs américaines».

    A une question (de Sovanny Chhun pour le site nouvelobs.fr) sur le message qu’il a souhaité transmettre, Gabriel Range a répondu: «Ce film aborde le climat de peur qui règne actuellement aux Etats-Unis et ses conséquences. J'ai voulu montrer les effets désastreux de la politique nationale de lutte contre le terrorisme de l’administration Bush et de la polarisation américaine sur la guerre en Irak».

    Mais Gabriel Range se défend fermement bien sûr d’avoir voulu faire un film démagogique, un thriller facile ou offensant. Il n’y a là aucun crime de lèse-majesté. «Quand les Américains ont entendu parler du projet de mon film, ils se sont sentis outragés. Mais je pense qu’à ce moment-là ils imaginaient que Death of a President serait une incitation à l'assassinat de leur président ou bien qu’il encouragerait les gens à se réjouir de sa mort. Puis quand les gens ont vu le film, leur regard a complètement changé».

    Cette enquête-fiction «est un objet cinématographique à part où, sur un mode documentaire, se mêlent rigueur façon BBC et rythme à la manière de la série « 24 heures chrono ». L'emploi de subtils effets spéciaux, de fausses archives, d'interviews scénarisés où les acteurs jouent à ne pas jouer, lui donne toute sa vraisemblance», a écrit Le Monde (21 janvier).

    Vraisemblance qu’il fallait à tout prix, car mettre en scène la mort violente d’un président en exercice, relève d’une audace rare. En particulier, souligne le site en français Le Journal du Pays Basque (http://lejournal.euskalherria.com ), le réalisateur a «l’intelligence de dérouler dans sa fiction, les mêmes mécanismes que ceux qui ont conduit à la seconde guerre d’Irak» : Dick Cheney, numéro 2 du gouvernement remplace Bush à la tête des Etats-Unis et tente de convaincre le monde, comme son propre Congrès, que la Syrie de Bachir El Assad est impliquée dans l’attentat en dépit de l’insuffisance de preuves. En outre, le gouvernement en profite pour renforcer davantage ses dispositifs sécuritaires et d’exceptions, augmentant encore les pouvoirs de la police et restreignant un peu plus ceux des citoyens par un Patriot Act III.

    «Le réalisme du contexte international évoqué, tout comme l’opposition interne à la politique de Bush en Irak montrée (10 000 manifestants ce jour-là à Chicago), est servi par un récit sur le mode d’un documentaire classique par des témoignages filmés sobrement et des images d’archives,... Une fiction qui relate sur le mode du passé une anticipation!», ajoute le site basque pour qui ces témoignages en disent long sur la politique impériale actuelle des Etats-Unis et de l’état d’esprit qui y règne.


    Notes

    (1)- A la suite d’ «accidents» juridico-politiques (les démissions de Spiro Agnew et de Richard Nixon) Gerald Ford fut amené à occuper les fonctions de vice-président et de président sans jamais avoir été élu. Au nom de G. Ford sont associées quelques attaques verbales d’adversaires démocrates. N’est-ce pas l’ex président Lyndon Baines Johnson qui a dit de lui par exemple: «Gerald Ford est un brave type, mais il a trop longtemps joué au football sans casque…». Ils se ressemblaient donc, sauf que le Texan LBJ n’a jamais été un «brave type».Mais qui a déclaré en 2004: « Si j’avais été président (en 2003), je ne pense pas que j’aurais ordonné une guerre contre l’Irak. J’aurais usé de tous les efforts (…) pour trouver une réponse différente»? Gerald Ford, dans un entretien au Washington Post dont la publication ne devait être faite qu’après sa mort.

    (2)- Une centaine de films, provenant de 31 pays, étaient en compétition, dans plusieurs catégories. Le 20 e FIPA de Biarritz «ausculte la face sombre de notre planète», a titré le site spécialisé TéléSatellite numérique.

    (3)- Site officiel: http://www.deathofapresident.com

    (4)- Filmographie du réalisateur: Death of a President (2006) produit par Borough Films, Londres et coproduit par Channel 4TV (autre titre : D.O.A.P. (Canada, English title), The Man Who Broke Britain (2004) (TV), Supersleuths: The Menendez Murders (2003) (TV), The Day Britain Stopped (2003) (TV), The Great Dome Robbery (2002).


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