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Par demhaitam le 20 Décembre 2006 à 18:42
Le gâteau de Baker
par Uri Avnery
Dans son style sec et incisif, Baker dit que les Etats-Unis ne peuvent pas gagner en Irak. De façon explicite, il a dit aux Américains : sortons de là avant que le dernier soldat américain grimpe dans le dernier hélicoptère du toit dune ambassade américaine, comme au Vietnam.PERSONNE naime admettre son erreur. Moi non plus. Mais honnêtement je nai pas le choix.
Quelques jours après leffondrement des Tours jumelles le 11 septembre 2001, il se trouve que jai fait une tournée de conférences aux USA.
Mon message était optimiste. Jespérais que quelque chose de bon sortirait de la tragédie. Mon raisonnement était que latrocité de lattentat avait montré lintensité de la haine contre les USA qui était en train de se répandre dans le monde, particulièrement dans le monde musulman. Il aurait été logique non seulement de combattre les moustiques mais aussi dasséchez le marais. Puisque le conflit israélo-palestinien était un des terreaux de cette haine - sinon le principal - les Etats-Unis sefforceraient de parvenir à la paix entre les deux peuples.
Cétait ce à quoi la froide logique pouvait conduire. Mais ce nest pas ce qui est arrivé. Ce qui est arrivé a été exactement le contraire.
La politique américaine na pas été guidée par la froide logique. Au lieu dassécher un marais, les Etats-Unis en ont créé un second. Au lieu de pousser les Israéliens et les Palestiniens vers la paix, ils ont envahi lIrak. Non seulement la haine contre les Etats-Unis na pas chuté, mais elle sest encore intensifiée. Jespérais que ce danger lemporterait sur les intérêts pétroliers et sur le désir dinstaller une garnison américaine au centre du Moyen-Orient
Ainsi jai commis moi-même lerreur contre laquelle javais maintes fois mis en garde les autres : supposer que ce qui est logique arrivera effectivement. Une personne rationnelle ne devrait pas ignorer lirrationnel en politique. En dautres termes, il est irrationnel dexclure lirrationnel.
George W. Bush est une personne irrationnelle, peut-être la personnification même de lirrationnalité. Au lieu de tirer la conclusion logique de ce qui était arrivé et dagir en conséquence, il a pris lorientation exactement opposée. Ainsi donc il na fait quinsister sur « garder le cap ».
Et voilà quarrive James Baker.
PUISQUE je suis déjà dans les confessions, je dois reconnaître que jaime bien James Baker.
Je sais que cela choquera certains de mes amis. « Baker ?! » sexclameront-ils, « Le conseiller de la famille Bush ? Lhomme qui a aidé George W. à voler les élections en 2000 ? Lhomme de droite ? »
Oui, oui, ce Baker là. Je laime bien pour sa froide logique, sa franchise et son style sobre, son habitude de dire ce quil pense sans fioritures, son courage. Je préfère ce style à lhypocrisie moralisatrice des autres leaders, qui essaient de cacher leurs véritables intentions. Je serais heureux un jour déchanger Olmert contre Baker, et de rendre sa liberté à Amir Peretz.
Mais cest une question de goût. Le plus important, c est quau cours des 40 dernières années, James Baker a été le seul leader américain qui a eu le cran de sopposer et dagir contre la maladie maligne dIsraël : les colonies. Quand il était secrétaire dEtat, il a tout simplement informé le gouvernement israélien quil déduirait les sommes dépensées pour les colonies de largent quIsraël recevait des Etats-Unis. Il a menacé et bien mis sa menace à exécution.
Baker a ensuite affronté le lobby « pro-israélien » aux Etats-Unis, à la fois juif et chrétien. Un tel courage est rare aux Etats-Unis, comme il est rare en Israël.
CETTE SEMAINE le groupe détude sur lIrak, dirigé par Baker, a publié son rapport.
Celui-ci confirme toutes les sombres prévisions annoncées par beaucoup à travers le monde - y compris moi-même - quand Bush & Co ont lancé la sanglante aventure irakienne. Dans son style sec et incisif, Baker dit que les Etats-Unis ne peuvent pas gagner là-bas. De façon explicite, il a dit aux Américains : sortons de là avant que le dernier soldat américain grimpe dans le dernier hélicoptère du toit dune ambassade américaine, comme au Vietnam.
Baker prône la fin de lapproche de Bush et propose une stratégie nouvelle et personnelle. En fait, cest une façon élégante de sortir lAmérique dIrak, sans donner limpression dune déroute complète. Principales propositions : un dialogue américain avec lIran et la Syrie, une conférence internationale, le retrait des brigades de combat américaines, en ne laissant que les instructeurs. Le comité quil a dirigé était composé à parts égales de républicains et de démocrates.
POUR LES ISRAELIENS, la partie la plus intéressante du rapport est, évidemment, la seule que nous concerne directement. Elle mintéresse tout particulièrement - comment en serait-il autrement ? - parce quelle dit, presque mot pour mot, les choses que jai dites juste après le 11 septembre, tant dans mes articles en Israël que dans mes conférences aux Etats-Unis.
Certes, Baker les dit quatre ans après. Pendant ces quatre années, des milliers de soldats américains et des dizaines de milliers de civils irakiens sont morts pour rien. Mais, pour utiliser encore une image, quand un bateau géant comme les Etats-Unis fait demi-tour, il doit faire une grand cercle et cela prend beaucoup de temps. Nous, dans le petit hors-bord appelé Israël, aurions pu aller beaucoup plus vite - si nous avions eu le bon sens de le faire.
Baker dit simplement : pour arrêter la guerre en Irak et entamer une réconciliation avec le monde arabe, les Etats-Unis doivent uvrer pour la fin du conflit israélo-palestinien. Il ne dit pas explicitement que la paix doit être imposée à Israël, mais c est la conclusion évidente quon peut en tirer.
Selon ses propres termes : « Les Etats-Unis ne peuvent atteindre leurs objectifs au Moyen-Orient que sils règlent directement le conflit israélo-arabe. »
Son comité propose le démarrage immédiat de négociations entre Israël et le « Président Mahmoud Abbas », afin de réaliser la solution des deux Etats. Les « négociations viables » doivent viser les « problèmes clés du statut final : les frontières, les colonies, Jérusalem, le droit au retour, et la fin du conflit. »
Lutilisation du titre de « Président » pour Abou Mazen et, surtout, lutilisation du terme « droit au retour » a alarmé lensemble de la classe politique en Israël. Même dans laccord dOslo, la section traitant des problèmes du « statut final » ne mentionne que les « réfugiés ». Baker, selon son habitude, a appelé un chat un chat.
En même temps, il propose une approche du bâton et de la carotte pour parvenir à la paix entre Israël et la Syrie. Les Etats-Unis ont besoin de cette paix pour amener la Syrie dans leur camp. Le bâton, du point de vue israélien, serait de rendre les hauteurs du Golan. La carotte serait le stationnement de soldats américains sur la frontière pour que la sécurité dIsraël soit garantie par les Etats-Unis. En contrepartie, il exige que la Syrie cesse, notamment, daider le Hezbollah.
Après la première guerre du Golfe, Baker - le même Baker - appela toutes les parties au conflit à venir à une conférence internationale à Madrid. Pour cela, il prit par le bras le Premier ministre dalors Itzhak Shamir dont toute la philosophie se résumait en deux lettres et une exclamation : « No » et dont le slogan était : « les Arabes sont les Arabes, et la mer est la mer » - qui fait allusion à la conviction israélienne populaire que les Arabes veulent tous jeter Israël à la mer.
Baker traîna à Madrid un Shamir qui freinait des quatre fers, et sassura quil ne séchapperait pas. Shamir fut contraint de sasseoir à la même table que les représentants du peuple palestinien, qui navaient jamais été autorisés à assister à une conférence internationale auparavant. La conférence elle-même neut pas de résultats tangibles mais il est incontestable quelle constitua un pas décisif dans le processus qui conduisit aux accords dOslo, et à ce qui était encore plus difficile : la reconnaissance mutuelle de lEtat dIsraël et du peuple palestinien.
Aujourdhui Baker suggère quelque chose de semblable. Il propose une conférence internationale et cite Madrid comme modèle. La conclusion est claire.
CEPENDANT, ce baker [boulanger en anglais ndt] offre un moule pour le gâteau. La question est de savoir si Bush va utiliser le moule pour faire le gâteau.
Depuis 1967 et le début de loccupation, plusieurs secrétaires dEtat américains ont présenté des plans pour en finir avec le conflit israélo-palestinien. Tous ces plans ont subi le même sort : ils ont été déchirés et jetés à la poubelle.
La même suite dévénements a été répétée de multiples fois : A Jérusalem, cest lhystérie. Le ministère des Affaires étrangères se cabre et jure de faire échouer le projet diabolique. Les médias condamnent unanimement le scandaleux complot. Le secrétaire dEtat du jour est cloué au piloris comme antisémite. Le lobby israélien à Washington mobilise pour la guerre totale.
Par exemple : le plan Rogers du premier secrétaire dEtat de Nixon, William Rogers. Au début des années 70, il avait proposé un plan de paix détaillé, dont le point principal était le retrait dIsraël sur les frontières de 1967. avec, au plus, des modifications minimes.
Quest-il arrivé à ce plan ?
Face aux attaques des « amis dIsraël » à Washington, Nixon la dénaturé, comme lavaient fait tous les Présidents depuis Dwight D. Eisenhower, homme de principe qui navait pas besoin des voix juives. Aucun Président ne veut se quereller avec le gouvernement dIsraël sil veut être réélu, ou - comme Bush aujourdhui - sil veut terminer son mandat dignement et passer la présidence à un autre membre de son parti. Tout sénateur et membre du Congrès qui prend une position qui ne plait pas à lambassade dIsraël se fait hara-kiri à la mode de Washington.
Le sort des plans de paix des secrétaires dEtat successifs confirme, à première vue, les thèses de deux professeurs, John Mearsheimer et Stephen Walt, qui ont fait sensation au début de lannée. Selon eux, quand il y a conflit à Washington entre les intérêts nationaux des Etats-Unis et les intérêts nationaux dIsraël, ce sont les intérêts israéliens qui ont le dessus.
EST-CE QUE cela se passera encore cette fois-ci ?
Baker a présenté son plan à un moment où les Etats-Unis font face au désastre en Irak. Le Président Bush est en pleine faillite, son parti a perdu le contrôle du Congrès et peut bientôt perdre la Maison Blanche. Les néo-conservateurs - pour la plupart juifs et tous supporters de lextrême droite israélienne - qui contrôlaient la politique étrangère américaine, sont remplacés lun après lautre, lambassadeur américain aux Nations unies a été mis dehors. Donc, il est possible que cette fois-ci le Président suive cet avis compétent.
Mais on peut en douter. Le Parti démocrate nest pas moins soumis au lobby « pro-israélien » que le parti républicain, et peut-être même lest-il davantage. Le nouveau Congrès a vraiment été élu sous la bannière de lopposition à la poursuite de la guerre en Irak, mais ses membres ne sont pas des candidats djihadistes au suicide. Ils dépendent du lobby « pro-israélien ». Pour paraphraser Shamir : « le plan est le plan, et la poubelle est la poubelle. »
A Jérusalem, la première réaction au rapport a été le rejet total, exprimant ainsi la confiance absolue dans la capacité du lobby de le tuer dans luf. « Rien na changé », a déclaré Olmert. « Il ny a rien à dire là dessus », a répondu immédiatement lécho des brigades de journalistes de la presse écrite et audiovisuelle. « Nous ne pouvons pas parler avec eux tant que le terrorisme continuera », a déclaré un célèbre expert à la télévision. Cela semble vouloir dire : « On ne peut pas discuter de la fin de la guerre tant que lennemi tire sur nos troupes. »
Sur les thèses Mearsheimer-Walt jai écrit que « le chien remue la queue et la queue remue le chien. » Il sera intéressant de voir qui remuera qui cette fois-ci : le chien sa queue, ou la queue son chien.
Article publié le 10 décembre, en hébreu et en anglais, sur le site de Gush Shalom - Traduit de langlais « The Bakers Cake » : SW
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