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Par demhaitam le 4 Novembre 2006 à 14:43
LAmérique demain
Rêves dans le désert
Los Angeles. Devant vous dans la nuit, telle une coulée de lave démesurée, un fleuve de phares sans fin descend à travers lample vallée et remonte la colline lointaine à pas dhomme, pendant quà votre gauche, au-delà de la rambarde, un autre fleuve de phares parcourt le sens inverse, descend de la colline et remonte la vallée sur lautoroute I-5 entre San Diego et Los Angeles. Cette humanité pressée mais lente, encombrante, polluée, enfermée un à un dans sa boîte de lait puante, avec son stress, ses aigreurs destomac, les frustrations de la journée de travail dans le dos, ressemble à la visualisation des versets de lEcclésiaste (Qoelet) sur la futilité de laction humaine, du mouvement pour rien, de laller et venir comme tourbillons de sable, comme faim de vent. Il y a quelque chose dinsolent, si ce nest simplement myope, dans la façon dont les étasuniens dilapident lespace, le gaspillent, confiants que cette disponibilité de terre, deau, dair naura jamais de fin. Et on ne le voit en aucun lieu mieux que dans la désertique Californie, littéralement assoiffée deau, où tout bon californien arrose, prodigue, sa petite pelouse verte intense, entourée de pierres et de terre brûlée.
Un pays inhabité
Dans deux jours, mardi (17 octobre, NDT)- nous dit le Bureau of Census, linstitut statistique Usa - à 7h45 du matin, naîtra le trois cent millionième américain. Il y a deux cents ans, cette nation avait 5 millions dhabitants (blancs).Il y a cent ans, ils étaient 160 millions. La barre des 200 millions fut atteinte en 1967, sous Lyndon Johnson. Maintenant, il naît un enfant toutes les 9 secondes, un vieillard meurt toutes les 13 secondes, et ainsi la population saccroît dune unité toutes les 11 secondes. La barre des 400 millions sera atteinte dans 35 ans.
Bien sûr, par rapport à lEurope, quant à la densité de population, les Etats-Unis sont encore un désert : sils avaient la même densité de population que lItalie (qui est, proportionnellement, beaucoup plus montagneuse et inhospitalière), les Usa devraient avoir 1 milliard 800 millions dhabitants.
Le fait est cependant que chaque américain engloutit plus de mètres carrés de terre, plus de mètres cubes doxygène, plus de barils de pétrole, plus de tonnes deau que nimporte qui dautre sur la planète. Quarrivera-t-il au fur et à mesure que la population augmente ? Le modèle dhabitat qui fait fureur aux Etats-Unis -celui du pavillon mono familial entouré de sa petite pelouse avec la route devant- est apparemment innocent : le désir de vivre au vert ; mais cest justement lui qui génère ce cercle infernal : les pavillons uni familiaux abaissent ainsi tellement la densité des faubourgs quils rendent impossible tout transport public, donc obligent à avoir au moins deux voitures par famille, donc exigent un réseau monstrueux dautoroutes urbaines.
Où est le Colorado ?
De plus, chaque famille requiert un morceau dau moins 20 mètres de route asphaltée devant chez elle, multiplie la longueur des égouts, dévore de lénergie parce que la structure en bois nest pas isolée thermiquement et engloutit une dose disproportionnée deau rien que pour arroser. Vous en avez une douloureuse perception quand vous approchez du fleuve Colorado, à côté de la frontière mexicaine. Vous laviez vu dans le Grand Canyon et au débouché des gorges, fleuve puissant, rétif, irrépressible. Vous vous attendez donc à une majesté placide. Et le fleuve, au contraire, nexiste plus, réduit à un ruisselet qui se perd dans laridité. Le Colorado narrive plus jusquau Mexique et moins encore jusquà la mer, parce que toute son eau a été déviée et canalisée pour abreuver la basse Californie, de Los Angeles à San Diego. Les californiens ont littéralement tué un grand fleuve.
Et ce processus est généralisé, avec les côtes qui exploitent et vident lintérieur qui devient ainsi de plus en plus désert, se dépeuple et tout le processus saccélère. 90 % de la population étasunienne vit à moins de 100 kilomètres des frontières (les deux océans et la frontière avec le Canada, et celle avec le Mexique). Moins de 10 % de la population vit dans toutes les immenses plaines centrales. Les démographes projettent pour cela un pays regroupé autour de méga-zones métropolitaines de 25 millions dhabitants chacune (selon les données officielles étasuniennes, la plaine du Pô de Turin à Milan à Venise à Bologne serait une seule zone métropolitaine de 25 millions dhabitants).
Un fleuve dimmigrés
Mais, plus encore que sur laspect écologique, on peut se demander si ce type de développement est soutenable socialement. Car la croissance de la population nest due quau fleuve biblique dimmigrés qui se déverse dans cette nation continent. Sil nen allait que des femmes américaines, les Etats-Unis verraient de fait décroître leur population, exactement comme tout autre pays industrialisé : le taux de procréation des femmes nées aux Etats-Unis est de fait de 1,8 enfants par femme, bien au dessous du 2,1 qui assure la reproduction pure et simple de la population dune génération à lautre. La croissance impétueuse de la population étasunienne et la maigre « fertilité » des femmes blanches éclairent dune lumière crue lhypocrisie de toute la campagne anti-immigration. Il nest pas un pays au monde qui de fait nencourage plus lafflux des immigrés, clandestins compris, que les Usa (on estime à 11millions et demi le nombre des clandestins). Sans immigrés et sans clandestins tous les Etats-Unis, et la Californie en particulier, sarrêteraient. Mais il y a un mais. Si la politique actuelle perdure et si les blancs veulent continuer à garder tous les leviers de commandement, le monopole de la richesse et du pouvoir, alors la structure sociale du pays changera : une partie croissante de la population Usa sera non instruite, indigente, ghettoïsée, quasiment esclavagisée. Un avenir à la Blade Runner. Une minorité de privilégiés barricadés dans leurs immenses, redoutables, Suv et pick-up, entourée dune majorité de pauvres malheureux, à moitié analphabètes, sans espoir dascension sociale, sans avenir. En somme, cela peut sembler paradoxal de le dire, alors que lInde sort du sous développement, les Etats-Unis se tiersmondisent, avec sa couche de gens aisés qui se rétrécit de plus en plus.
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