•           Les mythes fondateurs de la

              pensée politique américaine

    Qu'est-ce qu'un mythe?

    Introduction

    En décembre 1965, Robert McNamara, ministre de la défense des Etas-Unis, pense qu'une solution militaire au Vietnam n'est plus certaine. Il faut tenter une solution diplomatique. C'est pourquoi un cessez-le-feu de 30 heures est négocié un commence le 23/12/65. Il finit seulement le 28/1/1966. Même si les frappes aériennes sur le Laos et le Sud du Vietnam sont intensifiés pendant ce temps, on fait aussi une réflexion profonde.

    Le sénateur Russel pense qu'on est a un tournant. Soit qu'on poursuit une campagne militaire intense, soit qu'on se retire. Mais la première option est contre l'opinion public du moment.

    Un autre sénateur, Fulbright, et son collège Mansfield, écrivent à l'ambassadeur américain à Saigon: 

    "Il y a trop de moralisme dans notre politique étrangère. Nous sommes tributaires de vieux mythes qui nous aveuglent. Nous ne sommes pas les gendarmes de l'Évangile. Finissons avec l'héritage des Quakers, des Puritains, des Calvinistes dogmatiques. Nous n'appartenons pas à une race prédestinée qui apporte le bonheur sur la terre". Ce qui est bon pour les Etas-Unis ne doit pas forcément être bon pour le reste du monde. "Récusons le messianisme et le manichéisme. Il n'y a pas d'un côté le monde civilisé et de l'autre le monde sauvage ... Cessons d'être righters of wrongs". La démocratie américaine ne serait pas un modèle élu par la providence.

    Ils proposent trois initiatives (1966):
    - Limiter le pouvoir du Président (il a bcp de pouvoir en vertu de la résolution du Golfe de Tonkin du 7/8/1964)
    - Prendre contact avec le Vietcong ou son bras politique, le FNL
    - Reconnaissance de la RPC. Essayer de comprendre l'attitude des chinois dans le conflit indochinois.

     

    Définition

    Mythe

    Récit qui a qqc de sacré
    Un ensemble d'images qui comporte une illusion ou le risque d'une illusion
    Fait appel aux émotions collectives, à la mémoire collective

    En connaissant les mythes, on est sur le terrain qui prédispose aux réflexes fondamentaux de la politique étrangère d'un Etat. On peut accéder au noyau dur du comportement d'un État, à l'ontologie d'un Etat. On peut reconnaître une tendance profonde, une permanence dans la politique étrangère.

    Mais il y a, évidemment, le problème de la perception. La politique étrangère est l'image de soi et l'image de l'autre. Il n'y a jamais de la virginité ou de l'ingénuité totale.

    Les mythes peuvent venir de long (Japon). En Chine, la correspondance privée de Deng Xiaoping reprends parfois mot par mot Confucius. (Diriger, c'est pas d'abord commander, c'est d'abord donner un exemple d'altruisme.) Un autre exemple est le soucis très fort pour l'indépendance au Vietnam, notamment par rapport à la Chine, qui a le sentiment que le Vietnam aspire à une hégémonie sur l'Indochine. Les mythes américains viennent du temps de l'indépendance dans la deuxième moitié du 18e siècle.

    Les pères fondateurs des Etas-Unis et les principes fondamentaux

    George Washington, 1789 - 1797: notion du non-entanglement
    John Adams, 1797 - 1801: "Les Etas-Unis sont le lieu prédestiné où se réalise le bonheur de la race humaine"
    Thomas Jefferson, 1801 - 1809: donne l'exemple pour le pragmatisme (subsidiarité)
    James Madison, 1809 - 1817: Fasciné par les Lumières
    James Monroe, 1817 - 1825: Monroe doctrine de 1823

    Chez les founding fathers, on trouve les principes fondamentaux derrière les mythes:
    - Le non-entanglement / l'isolationnisme par rapport à l'Europe
    - Le pragmatisme: soucis d'efficacité
    - Le moralisme: tout acte basé sur un jugement étique stricte entre le bien et le mal
    - L'optimisme

    Le non-entanglement

    Il y a qqc de schizophrénique dans l'idée des Américains par rapport à l'Europe. 

    D'un côté, ils s'auto affirment en opposition à l'Europe. L'Europe avec toutes ses guerres ne peut pas diffuser le droit (notion très important pour les Américains). C'est le monde entré en décadence. Aux Etas-Unis, l'harmonie entre homme et État est possible. En Europe: "Der Friede ist ein Unding" (Kant). Aux USA: La paix général pourrait s'installer un jour. Toute démocratie en Europe se tourne immédiatement vers l'anarchie, la tyrannie, l'oligarchie, ou l'ochlocratie. (Palmerston, MAE britannique au 19e siècle, relativise: Le voisinage est souvent une source de conflit. L'éloignement peut rapprocher (Hammer: i.e. Norvège - Népal), et au contraire la proximité peut éloigner.) L'Europe n'est pas encore "adulte", n'a pas eu le courage de finir avec l'absolutisme. Les États-Unis doivent absolument s'abstenir à former des alliances à long terme avec des Européens. Aussi les Européens ne peuvent plus coloniser les deux continents américains. Monroe doctrine 1823.

    De l'autre côté, ce domicile du despotisme est aussi le domicile des Lumières. Ce courant a une grande fascination pour les Américains. Notamment Madison retient l'idée de Montesquieu dans L'esprit des lois (1748) que la vocation de l'homme sur terre est le bonheur. Pour atteindre le bonheur, il faut la liberté, qui est "l'absence de peur". Donc l'absence de l'arbitraire, État de droit, un grand soucis de Madison. C'est précisément ce que les Européens n'arrivent pas à installer.

    D'autres hommes qui influencent les Américains:

    - Montaigne (16e): "Nous sommes les esclaves de la loi qui nous rends libre".
    - Condorcet (18e): L'homme se dirige vers le progrès, la justice et la tolérance (optimisme). Dimension téléologique.
    - Diderot (18e): Notion de "contrat social" entre gouvernement et gouverné, sur un pieds d'égalité
    - Locke (17e): Participe à la rédaction de la Constitution de Virginie. Idée de séparation des pouvoirs
    - Physiocratie (18e): Doctrine économique qui prône le libre échange, la libre concurrence, la libre inventivité, et le libre transport des biens. C'est une antipode au mercantilisme et au dirigisme. Quesnay, Turgot.

    Le pragmatisme

    Soucis de l'efficacité. Développement d'un sens pratique pour faire cette société harmonieuse. L'empirisme (expérience) comme dispensateur de la vérité. Par exemple, Jefferson réfléchit sur la répartition des compétences entre le gouvernement central (affaires étrangères, défense) et les États (questions domestiques). Il est guidé par la question qui est le mieux placé pour prendre une décision. "Subsidiarité" avant le terme.

    Le moralisme

    - Influence des puritains
    - Refus de la violence
    - Rejet de la société indienne
    - Impact du moralisme

    Les puritains opposent la civilisation chrétienne avec la sauvagerie dont les indiens et les noirs font parti. La prédestination joue un rôle important: les élus (au camp de la justice) sont opposés aux retrouvés (pas d'accès à la justice). La vertu du travail est mise en évidence. Il faut se détourner des futilités de la jouissance.

    L'Amérique ne fera jamais la guerre au sens trivial qu'elle se passe tout le temps en Europe. C'est bien possible qu'il faut intervenir une fois pour punir les méchants. Mais ceci serait une croisade et non une guerre. Il faudrait la mener jusque au terme, c'est-à-dire jusqu'à l'avènement du droit. (Wilson, Truman)

    Il faut bannir et exclure les indiens. C'est ce que dit le poète et nouvelliste de tendance puritaine, Brackenridge. Son raisonnement a quatre piliers:
    - Étique: Les indiens sont mauvais pas nature; ils sont les suppôts du satan.
    - Économique: Le cultivateur est supérieur au chasseur, le dernier destiné à disparaître.
    - Chronologique/téléologique: L'indien est resté dans un stade primitif, tandis que l'Amérique des Blancs veut se développer.
    - Pragmatique: Ils vivent sur des terres que les Blancs ont besoin. Une co-propriété est exclue.

    L'impact que le moralisme a toujours peut être montré à travers l'exemple du livre que McNamara a publié, en 1995, sur le Vietnam. Il fait un bilan de son temps à la tête du Pentagone (1961 - 1968). Il dit que la guerre était une grossière erreur. Il cite toujours "nos valeurs", "nos principes", "nos traditions morales". On s'est trompé sur le niveau des moyens, mais pas sur le niveau des valeurs, qui était de punir l'ennemi, containment (théorie des dominos), pour amener la sécurité, la prospérité, le droit au bonheur. Là où on s'est véritablement trompé, c'était sur le nationalisme vietnamien. Dans son livre McNamara reconnaît que les Vietnamiens se sont battus pour leurs valeurs et leurs principes. "Nous ne possédons pas le droit divin de façonner toutes les nations a notre image" (comme Fulbright). "A l'époque, les évaluations quantitatives montrent que nous étions en train de gagner". Mais il y a le poids de l'impondérable, justement le nationalisme, les valeurs vietnamiennes. Encore une fois le problème de la perception.

    L'optimisme

    L'homme est perfectible. La société peut surmonter le mauvais (aussi l'égoïsme) et arriver à une harmonie collective. Conception idyllique.

    La destinée manifeste

    La notion de destinée manifeste apparaît probablement en été 1848 avec un article d'un O'Sullivan dans The United States Magazine: A Democratic Review. Les Etas-Unis ont une mission civilisatrice en vertu d'une vocation. Il faut s'étendre le plus possible. Annexion du Texas (12/1848).

    La notion de "frontière"

    Pour le droit international public, la frontière signifie la ligne ou finit la souveraineté d'un État et ou commence la souveraineté d'un autre. La conception américaine (1880, Turner, historien) est tout différente. La frontière réponds à une dynamique de conquête en apportant un modèle différent de la société. C'est donc la ligne de démarcation entre le monde stable et le monde sauvage, et en même temps une négation du particularisme, du rythme de l'autre. (logique de l'évolution). 

    Vers 1890, les "frontières" disparaissent, c'est-à-dire les "sauvages" ont disparu. Mais l'esprit pionnier ne doit pas disparaître. Il faut un autre terrain d'action, cette fois maritime. Beveridge dit, en 1898, qu'il faut une marine de marchande et une  marine de guerre pour maîtriser l'espace maritime. "Le commerce mondial doit être, et sera, le notre". Il réclame le droit des Américains pour les routes commerciales, aussi le droit d'aborder des rivages pas peuplés. L'argument économique rejoint donc l'argument étique.

    L'amiral Mahan

    L'amiral Mahan (fin 19e / début 20e) pense aussi que la destinée manifeste est outre-mer, pas continental. Il faut développer l'impérialisme d'une façon positive. L'impérialisme, en fait, est une nécessité: On a le droit de contrôler les capitaux investis. Pour cela, il ne faut pas de colonies mais de bases navales. Si l'aide américaine est détournée, alors les Américains ont le droit d'intervenir (politique de big stick de Theodore Roosevelt). Ceci n'est pas en contradiction avec le principe du non-entanglement parce que ce principe s'applique qu'à l'Europe.

    Cas pratique: Le Président Wilson, isolationnisme ou croisade?

    A partir de ses papers des années '20, et de ses lettres (1927 - 1939), on peut essayer de comprendre Woodrow Wilson. Même Freud s'intéresse à lui.

    Le démocrate est élu Président des Etas-Unis, en 1912, à l'âge de 56 ans. Pendant sa campagne électorale, il ne parle pas de la politique extérieure. Il évoque souvent les principes moraux: Les intérêts matériaux passent au 2e plan (national interest vs. special interest). Il tente de maintenir la légitimité du Président, à concrétiser les aspirations du peuple. Donc le moralisme et la destinée manifeste (montrer le chemin au monde) sont enraciné en lui. "Le droit est plus précieux que la paix", dit-il.

    Il surestime probablement un peu le pouvoir du Président. En lisant ses textes, on pourrait croire qu'il se voit comme un instrument de la providence (moralisme). Il a des mauvais relations avec le Congrès.

    Quand la 1e GM mondiale commence, Wilson pense que les Etas-Unis n'ont aucun intérêt en jeu et adopte une politique de neutralité. Si jamais on se metterait sûrement du côté de l'Entente, mais elle "n'incarne pas le camp de la démocratie", parce que la Russie autoritaire en fait parti. Wilson (père écossais, mère irlandaise) craint aussi que le vieux nationalisme d'origine pourrait surgir si les Etas-Unis se battaient en Europe. Le melting pot n'est pas encore achevé, le citoyen américain authentique pas encore crée.

    En 1916, Wilson est réélu d'extrême justesse, probablement à cause de sa promesse de tenir les Etas-Unis à l'écart de la guerre.

    Avant que la guerre sous-marine à outrance de l'Allemagne commence, un fonctionnaire dans le Ministère des affaires étrangères en Allemagne, Zimmermann, envoie un télégramme secret à l'ambassadeur allemand en Mexique. Il propose que si les Etas-Unis ne restait plus neutre à cause de cette guerre sous-marine, que l'Allemagne et le Mexique feraient la guerre et la paix ensemble. Dans ce cas, le Mexique pourrait aussi reconquérir ses territoires perdus aux Etas-Unis: le Texas, la Nouvelle Mexique et l'Arizona. Les Britanniques interceptent ce télégramme, l'envoient à Wilson et publient le texte. Quand la guerre sous-marine à outrance commence, six bâtiments américains sont coulés.

    Dans le débat sur l'entrée en guerre au sein du cabinet américain, les questions suivants se posent:

    La sécurité nationale des Etas-Unis sont-elles menacés?

    Oui, l'intégrité territoriale.

    Les citoyens américains sont-ils menacés?

    Oui.

    Des intérêts financiers et commerciaux sont-ils menacés?

    Oui, des banques américaines ont des liens aux banques françaises et britanniques.

    La paix générale ou la civilisation sont-elles menacées?

    Oui, par la clique militaire prussienne (distinction de Wilson entre le peuple et les dirigeants allemands)

    Y-a-t-il un risque d'hégémonie sur le continent européen?

    Oui.

    Le droit, la morale et la justice sont-ils bafoués?

    Oui.

    La liberté du commerce et la liberté de la mer sont-elles menacés?

    Oui.

    Les conditions pour une interventions sont-elles réunies?

    Oui.

    Le 6/4/1917, le Congrès fait la déclaration de guerre.

    Les 14 points de Wilson

    Les 14 points de Wilson (8/1/1918) sont l'aboutissement de plusieurs textes. Nous nous intéressons au dernier point: la création d'une Société des Nations. Après avoir gagné la guerre, il faut gagner la paix. Le traité de paix comme tel (pactum pacis) ne suffit pas. Il faut un fedus pacificum, un traité général pour installer en permanence la paix.

    Wilson se rends en Europe pour discuter son plan avec les leaders européens. Il peut les convaincre. Mais il commets une grossière erreur: Dans sa délégation se trouve aucun Sénateur. "On ne peut pas négocier et voter en même temps", dit Wilson. "La paix s'imposera au monde et par conséquent au Sénat par la pression irrésistible des peuples enthousiasmés".

    Il a tort. Il n'y a pas 64 Sénateurs (2/3) rallié à son point de vue. Le leader républicain Henry Cabot Lodge déteste le Président, qui à son tour refuse toute modification du traité. Le 19/11/1919, le Sénat américain refuse le traité de Versailles et avec lui l'entrée des Etas-Unis dans la Société des Nations. C'est une grande défaite pour Wilson, mais aussi une disqualification dès le début pour la SdN.

    La nature du conflit entre le Président et le Sénat: choc moralisme rudimentaire anti-européen/non-entanglement vs. idéalisme juridique / moralisme internationale de Wilson pour la paix générale.

    Warren Harding, Républicain, est élu avec une large majorité Président en 1920, contre le démocrate Cox qui continue à défendre les idées de Wilson.

    Conclusion: Sauf 1917 - 1920, Wilson reste fidèle aux principes américains.


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