•   « Le Moyen-Orient est malade du paradigme de la force »
     
    11 septembre 2001
     

    Entretien avec Jean-Paul Chagnollaud.

    Quel bilan dressez-vous des cinq ans de « guerre au terrorisme » de l’administration Bush ?

    Jean-Paul Chagnollaud. Si on prend le Moyen-Orient dans sa globalité, on voit que cette guerre contre le terrorisme est partie d’un plan nébuleux et très idéologique, concocté par l’entourage du président Bush bien avant les attentats du 11 septembre 2001. Les gens qui ont pensé tout cela étaient présents dans tous les « think tanks » néoconservateurs, au moins depuis la première guerre du Golfe. Ils ont simplement utilisé une menace bien réelle - al Qaeda et le 11 septembre 2001 - comme prétexte pour mettre en oeuvre des politiques aveugles basées sur cette idéologie floue qui, en fait, ignorait les réalités de la région. Ainsi, l’attaque contre l’Irak a-t-elle été justifiée par la prétendue menace d’armes de destructions massives et de réseaux terroristes, qui n’existaient pas, comme la suite l’a démontré. En réalité, il s’agissait de dominer la région par tous les moyens, et avant tout par la force. Car toute l’idéologie des néoconservateurs est basée sur le paradigme de l’usage de la force.

    En Irak, très clairement, son application a créé un terreau fertile pour le développement d’un terrorisme qui n’existait pas avant l’intervention américaine. Cette politique révélait une méconnaissance totale de la structure sociale de l’Irak par Bush et son entourage. Une « ignorance alliée à l’arrogance », selon l’expression de certains de mes confrères américains, et qui conduit aujourd’hui l’Irak à la guerre civile.

    Peut-on appliquer la même grille de lecture à la Palestine et au Liban, où, loin de la paix et de la démocratie promises, on a de nouvelles guerres et de nouvelles tragédies ?

    Jean-Paul Chagnollaud. Je dirais que si George W. Bush avait vraiment voulu mener la guerre contre le terrorisme - qui, j’y insiste, est une réalité, car on ne peut nier qu’al Qaeda existe -, il aurait mieux valu faire la paix en Palestine plutôt que la guerre en Irak. Clinton, en janvier 2001, avait failli réussir. Il n’en était pas loin. Bush n’avait qu’à reprendre le fil. Au lieu de cela, il a préféré écouter la clique des Cheney, Rumsfeld et autres Pearl. À l’époque, ils étaient obsédés par leur projet de défense antimissile. Ils avaient du mal à l’imposer. Le 11 septembre 2001 a ouvert une brèche qui leur a permis de le faire passer. Il a légitimé leur approche unilatérale et occulté toute analyse sérieuse.

    Pendant la guerre contre le Liban, Bush n’a cessé de répéter que c’était « une guerre entre démocratie et terrorisme totalitaire » ! Pour lui, c’était une nouvelle étape de sa « guerre contre le terrorisme », menée cette fois par Israël. Il ne fait aucune différence entre al Qaeda, le Hezbollah ou le Hamas. Il est allé jusqu’à dire, au moment où l’on a révélé le complot contre Londres - comme par hasard en pleine guerre au Liban - que les auteurs du complot étaient « de même nature que le Hezbollah ». C’est à partir de ce même genre d’amalgame qu’il apporte un soutien inconditionnel à Israël dans son refus de négocier avec le Hamas. On peut donc affirmer que Bush, au nom de cette nébuleuse mentale qu’il appelle « guerre contre le terrorisme », a certainement contribué aux violences actuelles au Moyen-Orient, que ce soit en Irak, en Israël et Palestine ou au Liban.

    N’est-ce pas totalement contre-productif, y compris dans la volonté de soutenir Israël, qui se trouve aujourd’hui affaibli et lui-même victime de cette politique ?

    Jean-Paul Chagnollaud. Contre-productive est le mot juste, car cette politique aboutit exactement à l’inverse des objectifs poursuivis. Au lieu de vaincre le terrorisme, on le suscite en Irak. Au lieu d’affaiblir le Hezbollah au Liban, on le renforce. Au lieu de renforcer Israël, on l’isole. On veut la démocratie en Palestine, mais on rejette le résultat d’élections où la volonté du peuple palestinien s’est exprimée, malgré l’occupation. La raison de ces échecs, c’est qu’un seul paradigme inspire cette politique : le Proche-Orient est malade du paradigme de la force, du refus du politique, du refus de la reconnaissance de l’Autre. Et je crains le pire, en ce qui concerne l’Iran, car Bush et les siens n’ont tiré aucune leçon des erreurs commises. Pas plus qu’Olmert et Peretz, en Israël, ne semblent capables de saisir les propositions que vient de faire l’Europe de retour à la « feuille de route », pourtant infiniment plus fécondes.


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