• Prisons de la CIA: la vérité dépassée

    S'il y a une constante dans le scandale des prisons secrètes de la CIA, c'est l'irritante désinvolture qu'affiche Washington à son encontre. Les ultimes révélations du New Yorker n'ont en rien ébranlé les certitudes des services étasuniens. Encore moins celles de George W. Bush. Le président des Etats-Unis vient de légaliser, par décret, le recours à la torture dans «sa» lutte contre le terrorisme. Il met ainsi ses hommes et leurs mandants à l'abri de toute poursuite, fût-elle fondée sur des preuves. L'impressionnante enquête du prestigieux hebdomadaire arrive peut-être trop tard, elle qui dévoile pour la première fois le menu détaillé des atrocités commises dans les cachots occultes de la CIA en Europe. Avant même son éclosion, la vérité est dépassée par le cynisme.

    Sur l'ahurissant dossier du magazine new-yorkais plane aussi une ombre inquiétante: le sentiment que les journalistes ne réécriront peut-être plus les pages du Watergate, retentissante affaire ayant poussé le président Richard Nixon à démissionner en 1974. Pour les Etasuniens, focalisés sur la déroute irakienne et paralysés par la peur du terrorisme, la violation des droits de l'homme ne suscite pas de vagues d'indignation semblables à celles qui ont fait capituler les plus redoutables hommes d'Etat. En Europe, cette question ne semble plus avoir une importance capitale, en dépit de foyers mal éteints ou qui menacent de se rallumer sur ce dossier entre le Vieux et le Nouveau Continent. Difficile d'attendre de la confrontation d'un président allergique aux Conventions de Genève et de pays européens passifs ou complices l'amorce d'un repentir ou d'un simple retour au bon sens. Pourtant, au-delà des ravages de nature éthique, le franchissement de la ligne des droits humains crée un vide juridique dont la nature politique a horreur.

    Les embarrassantes libertés que Washington s'accorde pour «protéger son peuple» entraînent un sérieux dérèglement de la gouvernance mondiale. Elles écrasent les protestations des Nations Unies, paralysées par les rapports de forces et les rivalités de puissances, et accentuent de ce fait les tensions géostratégiques. Qui doit jouer le rôle de pilote dans le règlement des crises internationales? Avec la guerre d'Irak, la force militaire l'a emporté sur la diplomatie. Avec la légalisation de la torture, les clignotants passent au rouge vif, car il y a en jeu l'intégrité physique et psychique de la personne, domaine autrement plus intouchable que les conventions sur les conflits armés. Publiée au moment où les prétendants à la présidence des Etats-Unis s'échauffent, les pages du New Yorker évoquent, en filigrane, l'enjeu crucial de la campagne électorale. Si les républicains gardent le contrôle de la Maison-Blanche, le prochain président ne manquera pas de poursuivre la politique de son prédécesseur. Si les démocrates placent leur candidat, personne ne peut garantir qu'il s'engagera à démanteler les lois liberticides héritées de l'ère Bush. Plus qu'une enquête, l'hebdomadaire étasunien signe presque un aveu d'impuissance.


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