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Par demhaitam le 12 Novembre 2006 à 22:05
Une « exclusivité » du Monde :
le tourisme de propagande de BHL en Israël
Dans une lettre, publiée le 18 juin 1979, Pierre Vidal-Naquet, indigné de la promotion de lessai bâclé de Bernard-Henri Lévy, noblement intitulé Le Testament de Dieu, proposait aux lecteurs du Nouvel Observateur « une simple anthologie de "perles" dignes dun médiocre candidat au baccalauréat ». Et sinterrogeait : « Comment peut-il se faire que, sans exercer le moindre contrôle, un éditeur, des journaux, des chaînes de télévision lancent un pareil produit, comme on lance une savonnette ? ». La même question demeure.
Alors que Pierre Vidal-Naquet vient de décéder, les lignes qui suivent sont un modeste hommage à sa mémoire.
La prose de Bernard-Henri Lévy (comme son auteur lui-même..) est inclassable. Peut-être est-ce la raison pour laquelle Le Monde a éprouvé quelques difficultés à définir le genre auquel appartiennent les deux pages de publi-reportage dont il a gratifié ses lecteurs, dans son édition du 28 juillet 2006.
Si lon en croit lappel de la « une », il sagirait dun « témoignage » : un « témoignage, nourri de rencontres avec la population et certains dirigeants du pays ». Si lon en croit le « chapeau » de larticle, sobrement intitulé « La guerre vue dIsraël », il sagirait dun « récit » : « Comment la population et les dirigeants de lEtat juif ressentent-ils les événements ? Récit dun semaine de vie sous les obus ».
En vérité, il sagit surtout dun long tract de propagande consacré à la prise de position de Bernard-Henri Lévy sur la guerre en cours et dun chapitre de son interminable autobiographie.
Peut-être est-ce la raison pour laquelle il figure dans la rubrique « Lété » dans les pages « Débats ». Débat ? Manifestement, il ne sagit pas dune « tribune libre » gratuitement envoyée au Monde et publiée au même titre que dautres. Plus prudent, le site du Monde présente ce récit estival comme un « point de vue ».
BHL a-t-il été sollicité par Le Monde ou sest-il proposé lui-même pour délayer la prise position belliqueuse quil avait déjà exprimée dans Le Point ? Nous lignorons. En tout cas, à la lecture de cet article, tous ceux qui seraient tentés de regretter le silence (médiatique) des intellectuels sur lintervention militaire des Israéliens au Liban ne pourront que déplorer que Le Monde ait rompu ce silence en proposant, en guise de pseudo-reportage et de contribution au débat, deux pleines pages de tourisme de propagande et dautopromotion.
On le sait : BHL ne laisse à personne le soin de décider à sa place à quelle lignée dintellectuels prestigieux il appartient. Succédant à Mauriac, il lui emprunte le titre de sa chronique hebdomadaire dans Le Point : « Le Bloc-notes ». Se prenant pour Malraux, il cite autant quil le peut (ici, à deux reprises) le témoin et lacteur de la guerre civile espagnole. Rivalisant avec Sartre, il se veut à la fois philosophe, écrivain, auteur de pièces de théâtre. Et mimant Camus rompant avec Sartre, cest en excommunicateur quil congédie Régis Debray pour cause de délit de concurrence dans un article théâtralement intitulé : « Adieu Régis Debray » (Le Monde, 14 mai 1999). Ce dernier avait eu laudace, dans une « Lettre dun voyageur au président de la République » (Le Monde, 13 mai 1999) décrire ce quil avait vu parce que cela ne correspondait pas à ce que certains, nombre de médias en tête, prétendaient quil fallait voir afin de justifier lintervention occidentale. On sait aujourdhui que la réalité était plus proche de ce quil avait alors rapporté que de ce que BHL et nombre de médias sévertuaient déjà à nous faire croire.
On le sait également (et la rédaction du Monde aussi...) : Bernard-Henri Lévy est un pseudo-journaliste dont la plupart des « reportages » ont livré non seulement des commentaires controversés, mais des informations plus quapproximatives. On se souvient ou lon devrait se souvenir du séjour du même BHL en Algérie. En 1998, il devient, pour Le Monde, journaliste de la guerre civile algérienne. En deux articles (« Le jasmin et le sang » et « La loi des massacres », les 8 et 9 janvier 1998), pour nous dire tout le mal quil pense des islamistes égorgeurs, il déclame tout le bien quil faut penser du gouvernement algérien qui avait dailleurs largement organisé son voyage. On se souvient, ou lon devrait se souvenir, de son « enquête » en Colombie intitulée « Les maux de tête de Carlos Castaño » (Le Monde, 2 juin 2001). Inoubliables, également ses séjours en Afghanistan et son « romanquête » sur lassassinat de Daniel Pearl, etc.
Cette fois-ci, cest en Israël que notre philosophe-trotteur nous emmène. Comme à son habitude, il ne sagit pas pour lui de rendre compte dune situation mais, sous couvert dune « enquête », de nous servir ses convictions, de publier son journal de voyage et, à cette occasion, de se mettre avantageusement en scène.
De retour dIsraël, comme toujours, Bernard-Henri Lévy ne se borne pas à livrer un témoignage personnel qui assume sa part de subjectivité. Sil est écrit à la première personne, cest parce que Bernard-Henri, comme partout, a dabord rencontré BHL.
Ses goûts : « Haïfa. Ma ville préférée en Israël. »
Sa biographie, dont on sait quil la réécrit et la révise sans cesse : « Dès mon arrivée, oui, dès les premiers contacts avec les vieux amis que je navais, depuis 1967, jamais vus si tendus ni si anxieux [...] ». 1967 : date de la guerre des Six jours, dont on ne savait pas jusquà aujourdhui, que BHL, qui avait alors 19 ans (quelle précocité !), en avait été le témoin en Israël même.
Ses interlocuteurs dimportance quil rencontre ou a rencontrés (pour ne pas dire : qui ont absolument voulu le rencontrer) : Tzipi Livni, « la jeune et brillante ministre des affaires étrangères », Amir Peretz quil compare à ses prédécesseurs (« Jai connu, depuis quarante ans, bien des ministres de la défense dIsraël. De Moshé Dayan à Shimon Pérès, Itzhak Rabin, Ariel Sharon [...] », Ephraïm Sneh (« le patron de la zone de sécurité dIsraël au Liban sud à partir de 1981 »), le romancier David Grossman (« lun des grands romanciers israéliens daujourdhui » pour parler de son dernier livre) et enfin Shimon Pérès (« Je ne voulais pas achever ce voyage sans aller, comme chaque fois mais, cette fois, plus que jamais, rendre visite à Shimon Pérès »).
Ses uvres. Si BHL rencontre Ephraïm Sneh dont on croit comprendre quil est général de réserve, cest que celui-ci la « convoqué » ». Mais pourquoi ? Une cascade de questions - tempête sous un crâne - ménage le suspense, jusquau dénouement : « Mais je maperçois vite que, sil ma fait venir jusquici, cest pour me parler dune affaire qui le passionne, qui na rien à voir avec cette guerre et qui nest autre que le kidnapping, la captivité, la décapitation de Daniel Pearl. »... Cest-à-dire du « romanquête » de BHL lui-même...
BHL rencontre surtout les lambeaux de son propre imaginaire : un imaginaire qui tient lieu danalyse de la complexité de la situation.
BHL en Israël, ce serait Malraux en Espagne ! La guerre du Liban de 2006 ? Léquivalent de la guerre dEspagne de 1936 : semblable aux Républicains Espagnols combattant le fascisme dhier, larmée israélienne affronte le fascisme daujourdhui. Telle est la leçon dhistoire qui ouvre larticle de Bernard-Henri Lévy et qui en résume le sens : « Cest, aujourdhui, lundi 17 juillet, lanniversaire du déclenchement de la guerre dEspagne. Cela fait soixante-dix ans, jour pour jour, queut lieu le putsch des généraux qui donna le coup denvoi à la guerre civile, idéologique et internationale voulue par le fascisme de lépoque. Et je ne peux pas ne pas y penser, je ne peux pas ne pas faire le rapprochement, tandis que jatterris à Tel-Aviv. » Et encore : « Il faut entendre Zivit Seri expliquer, devant un immeuble crevé par un obus et dont les dalles de béton se balancent au bout de leur ferraille tordue, quil était minuit moins cinq, dans le siècle, en Israël. » (souligné par nous)
BHL en Israël raconte BHL à Sarajevo. Une évocation le rappelle : « Zivit Seri, cette jolie mère de famille, toute menue, dont les gestes maladroits, sans défense, mémeuvent comme mémouvaient les corps de Sarajevo ». Car Israël est un autre Sarajevo : « La grande faute du Hezbollah [...] est de faire régner un climat de terreur, donc dinquiétude de chaque instant, qui, là encore, et toutes proportions gardées, me rappelle la façon quavaient les Sarajéviens de spéculer à perte de vue sur le fait quil sen est fallu dun cheveu, dun hasard, dun changement de programme de dernière minute, dun rendez-vous qui sest prolongé, ou qui sest abrégé, ou qui a miraculeusement changé de lieu - et voilà, ils se trouvaient au point dimpact de la roquette ! » Une telle angoisse, évidemment, nest nullement partagée par le libanais ou les Palestiniens de Gaza sous les bombes israéliennes.
La rhétorique belliqueuse de notre pseudo-Malraux (cité à deux reprises pour quon ne sy trompe pas) ne recule devant aucun procédé.
- Jeux de mots pitoyables : « Ce Hezbollah dont chacun sait quil est un petit Iran, ou un petit tyran », « les Iranosaures du Hezbollah » ;
- Mensonges éhontés. Tantôt sous forme dinsinuations : « Doù vient que lon parle si peu, finalement, de ces victimes juives tombées après quIsraël sest retiré de Gaza ? ». Tantôt sous forme dallégations grossières : « une armée plus sympathique que martiale ; plus démocratique que sûre delle et dominatrice ; une armée qui, ici, en tout cas, me semble aux antipodes de ces bataillons de brutes, ou de Terminators sans principes ni pitié, quont si souvent décrits les grands médias européens. » (souligné par nous). Notre écrivain nest pas en panne dimagination ! Le Monde figure-t-il parmi les grands médias qui alimentent ses fictions ?Admettons-le : toute prise de position, même quand elle repose sur une argumentation détaillée, peut être simplificatrice. Mais pourquoi faudrait-il quelle sénonce au détriment de toute analyse ?
Car on ne peut tenir pour une analyse de la situation cette déclaration de guerre du Bien contre le Mal : « En fond de décor, ce fascisme à visage islamiste, ce troisième fascisme, dont tout indique quil est à notre génération ce que furent lautre fascisme, puis le totalitarisme communiste, à celle de nos aînés... ». Et contre cette hydre totalitaire : « une armée plus sympathique que martiale ; plus démocratique que sûre delle et dominatrice [...] ».
Dun côté, des engins de guerre du Hezbollah, terrifiants : « Cest fou ce que ces engins, quand on les voit de près, créent de dégâts. Et cest fou le boucan quils peuvent faire quand on ne dit plus rien et que lon guette juste le bruit de leur trajectoire mêlé à celui du moteur de la voiture - choc sourd et sans fumée de la roquette tombée au loin ; détonation stridente, énervée, quand elle passe au-dessus des têtes ; vibration longue, tenue comme un point dorgue, quand elle éclate à proximité et fait tout trembler autour de vous. ». Et de lautre : « un véritable laboratoire de guerre où des savants-soldats déploient une intelligence optimale pour, le nez collé sur leurs écrans, tentant dintégrer jusquaux plus impondérables données de terrain qui leur arrivent, calculer la distance de la cible, sa vitesse de déplacement ainsi que, last but not least, le degré de proximité déventuels civils dont lévitement est, ici au moins, jen témoigne, un souci prioritaire - et pourtant... ». Et pourtant, en effet, un Liban détruit, un demi-million de réfugiés, des catastrophes écologiques, probablement 700 morts à ce jour, bref des informations rapportées par de vrais journalistes qui font leur travail en prenant de vrais risques.
Quelle compréhension de la situation peut-on attendre dune telle pseudo-analyse dévorée par un parti-pris aussi outrancier ? Que reste-t-il à « débattre » quand les arguments sont dissous dans un témoignage qui se prend aussi largement pour objet ?
Que BHL soutienne la politique du gouvernement israélien et contribue à son effort de guerre est un choix politique qui, à défaut dêtre raisonnable, pourrait être raisonné. Mais quil soumette au « débat », avec le soutien du Monde, un tract de propagande, voilà qui en dit long sur lintellectuel dont il sagit et sur le journal qui le publie.
Addendum : La méthode BHL -. Larticle de Bernard-Henri Lévy repose sur un certain nombre de procédés, toujours les mêmes, quil utilise depuis longtemps et qui lui permettent dintervenir sur tous les conflits avec quasiment les mêmes mots et les mêmes stéréotypes (ou « schèmes de pensée », ...si lon peut dire). Lors dune journée détudes (organisée le 18 juin 2003 par le Centre de recherche en information spécialisée de lUniversité de Paris 10 avec le concours de linathèque de France) qui était consacrée aux « intellectuels de médias », lun des intervenants, Erwan Poiraud, pointait déjà la méthode BHL à propos dune émission diffusée sur Arte le 20 septembre 2001 consacrée à lAfghanistan après les attentats du 11 septembre. Non seulement BHL assume le fait quil nest pas un spécialiste ou un expert de quoi que ce soit, mais il affirme avec tout le culot quon lui connaît que cest précisément ce qui fait sa force à lui. Contre la connaissance froide des experts, il revendique en effet une proximité avec les grands personnages (« Je ne suis pas un spécialiste de lAfghanistan, mais je connaissais Massoud »). Il met aussi dans la balance les risques physiques quil aurait pris, lui, et sa présence sur le terrain, bravant courageusement tous les dangers. (« Moi, jai été , il y a deux ans, sur la ligne de front »). Et revendiquant fièrement sa collaboration avec Le Monde, il propose une explication passe-partout à partir de lévocation du fascisme, mettant dans le même sac Milosevic, Khomeiny, Hitler et les talibans. Il ne manque pas dévoquer le conflit yougoslave, Sarajevo et son rôle important. Il truffe enfin ses propos des mêmes citations de Malraux sur la guerre dEspagne (« comme disait un grand écrivain français, Massoud faisait la guerre sans laimer ») que lon retrouve à propos dAmir Peretz : « Un ministre de la défense répondant si exactement au mot célèbre de Malraux sur ces commandants de miracle qui "font la guerre sans laimer" [...] » On pouvait donc savoir davance, dès 2001, ce que seraient ses prochains articles. Après son escapade en Israël, on sait encore mieux ce que seront les suivants.
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