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Par demhaitam le 14 Novembre 2006 à 22:48
Guerre du Kosovo: Les victimes de
Varvarin et la justice
Après la guerre au Liban et ses destructions dobjectifs civils, le destin des habitants et des victimes de la petite ville de Varvarin et leurs souffrances pendant la guerre du Kosovo acquièrent une importance toute nouvelle. La République fédérale dAllemagne nétait prétendument pas directement impliquée, «elle a tout au plus repéré des objectifs avec le laser de ses avions de surveillance Avacs». Cest ce que lon a toujours dit.
Le 28 juillet 2005, la Cour dappel de Cologne a repoussé la plainte des victimes survivantes et des proches des personnes tuées lors du bombardement dramatique de la petite ville serbe de Varvarin. Elles avaient demandé des dommages-intérêts à lAllemagne à la suite de la destruction, le 30 mai 1999, du pont sans intérêt militaire de la petite ville de 4000 habitants par des avions de combat de lOTAN, le bombardement ayant tué 10 personnes et grièvement blessé 30 autres. Comment est-ce quon en est arrivé à cette attaque que la population juge complètement dénuée de sens? A cette époque, le droit international a été violé plusieurs fois et pourtant la plainte des victimes a été repoussée. Pourquoi?
Sans les bombes du 30 mai 1999, le monde naurait jamais eu connaissance de lexistence de Varvarin. Le vieux pont, large de 4 mètres 50, qui enjambe la Morava, large de 50 à 70 mètres à cet endroit, a toujours été la construction la plus importante de la ville. Construit en 1924 en Allemagne, il a été livré par les Allemands après la Seconde Guerre mondiale à titre de réparations. Il avait toujours eu une seule voie et ne pouvait pas être utilisé par des véhicules de plus de 10 tonnes. Le 30 mai 1999 était le premier dimanche après la Pentecôte. Cétait jour de marché à Varvarin et, de plus, la ville fêtait ce jour-là la Trinité. Cest pour ces deux raisons quil y avait beaucoup de monde venu des villages voisins.
A 13 heures, le ciel au-dessus de Varvarin était dun bleu lumineux et il faisait chaud. Beaucoup de personnes étaient allées à léglise et sétaient promenées au marché, avaient acheté quelque chose ici ou là ou mangé une glace. Cétait le cas notamment de Ratobor Simonovic et de sa mère Ruzica. Ils avaient acheté une glace puis étaient montés dans leur auto rouge, une Zastava, pour rentrer chez eux. Lorsquils se trouvèrent au bout du pont, trois jeunes filles, Sanja, Marina et Marijana, marchaient à près de 50 mètres devant eux en direction de leur village de Donji Katun.
Marina se souvient: «Tout à coup, nous avons entendu un sifflement et une force invisible nous a catapultées en lair. Nous avons crié et avons senti une très forte chaleur».
Radomir Stojancovic, qui pêchait à la ligne au bord de la rivière, a raconté plus tard: «Deux avions de combat volant bas ont tiré deux roquettes sur la pile centrale du pont. Ils avaient tapé dans le mille. Lexplosion a détaché de la pile le pont en fer et les restes sont tombés dans leau et avec eux les Ratobor dans leur Zastava rouge. Les trois jeunes filles ont été projetées en bas du pont et sont restées sur une partie du pont, inclinée tout près de la surface de leau. Deux dentre elles ont appelé au secours.»
Sanja Milenkovic était la plus grièvement blessée et ne respirait presque plus. La jambe droite de Marina Jovanovic était entièrement fracassée en dessous du genou. Elle était couchée sur le chemin pour piétons du pont, penchée vers leau, tout près de son amie Sanja. En dessus delle, elle entendait Marijana Stojankovic appeler au secours. Dans la Zastava rouge, la mère et le fils étaient aussi encore en vie: on voyait une main qui sagitait à la fenêtre.
Après la première explosion, des éclats de métal tombèrent jusquà 150 mètres de là, sur la place du marché et semèrent la panique parmi les personnes présentes. Milan Savic, 28 ans, cria à ses amis: «Nous devons aller porter secours aux blessés et il courut en direction du pont. Sa décision allait lui coûter la vie quelques instants plus tard. Stojan Ristic, Bozidor Dimitrijevic et le vieux Tola Apostolovic coururent également vers la rivière. Cinq à six minutes sétaient écoulées depuis la première attaque.
Bozidor, seul survivant des trois, se souvient: «Les deux autres mavaient entraîné vers le pont parce que je savais bien nager et plonger. Nous sommes descendus au bord de leau à laide dune échelle et nous nous sommes dirigés tant bien que mal vers lauto rouge pour secourir ceux qui en étaient prisonniers. Tout à coup, il y a eu une seconde explosion et jai été projeté vers le rivage. Lexplosion était tellement forte que le corps de Stojan Ristic a été complètement déchiqueté. Celui de Tola Apostolovic a également été déchiqueté et ses intestins se sont enroulés autour de sa bicyclette. La chaleur était si forte que jai cru que je brûlais. Pendant que jétais projeté en lair, jai vu le prêtre Milvoje Ciric, qui priait au bord de leau, être décapité.»
Il existe une vidéo amateur du massacre. Mais il semble que celui qui filmait na pas pu supporter le spectacle horrible des corps déchiquetés, car il se tourne constamment vers le pont détruit.
La mère et le fils étaient encore vivants après la première attaque. Ils étaient coincés à lintérieur de lauto, dans leau, et Ratobar agitait désespérément son bras par une fenêtre du côté des sauveteurs. Lors de la deuxième attaque, Ratobar a été écrasé dans sa voiture, tandis que sa mère était éjectée par londe de choc. On a retrouvé son corps plus tard très loin sur la rive opposée. En tout, au cours des deux attaques, 10 personnes ont été tuées (la plus jeune était Sanja, 15 ans) et 30 autres grièvement blessées. Beaucoup dentre elles souffrent toujours de dommages corporels permanents et de handicaps.
Le lendemain, le 31 mai, les Etats de lOTAN, lors dune conférence de presse à Bruxelles, ont avoué le bombardement du pont de Varvarin. Le très habile porte-parole de lOTAN dalors, Jamie Shea, a déclaré aux journalistes que le pont de Varvarin était un «objectif militaire légitime» de la guerre du Kosovo.
Les gens de Varvarin ont appelé cela un mensonge, car leur pont nétait pas du tout un objectif militaire. Lattaque ne se justifiait donc en rien. Cétait un crime de guerre, car Varvarin est à 200 km au nord du Kosovo. Il ny avait jamais eu là de militaires et le pont navait jamais été utilisé pour des transports militaires. Les habitants de Varvarin ont plutôt limpression que lattaque visait uniquement à terroriser la population. Selon les victimes, «la destruction du pont, le fait de tuer et de blesser des civils et de causer des dégâts à leur patrimoine constituent une violation de linterdiction dattaquer la population civile. Une des plus anciennes et élémentaires règles du droit international humanitaire veut que, lors dopérations militaires, on distingue nettement les objectifs militaires et les combattants dune part, les biens de caractère civil et la population civile de lautre, et quil soit interdit dattaquer à la population et les biens de caractère civil. Cela figure dans les Conventions de Genève de 1949 et dans le Protocole additionnel I de 1977. Lart. 48 (Règle fondamentale) du Protocole précise ceci: «En vue dassurer le respect et la protection de la population civile et des biens de caractère civil, les Parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre la population civile et les combattants ainsi quentre les biens de caractère civil et les objectifs militaires et, par conséquent, ne diriger leurs opérations que contre des objectifs militaires.» Quant aux objectifs militaires, lart. 52 stipule quils «sont limités aux biens qui, par leur nature, leur emplacement, leur destination ou leur utilisation, apportent une contribution effective à laction militaire et dont la destruction totale ou partielle, la capture ou la neutralisation offre en loccurrence un avantage militaire précis».
A supposer même que le pont de Varvarin ait présenté un «avantage militaire précis», son bombardement reste contraire à la loi, car les pertes dans la population civile qui y sont liées à sa destruction nont aucun rapport avec un avantage militaire (hypothétique) (article 51, alinéa 5 du Protocole). Larticle 57 mentionne les mesures de précaution suivantes: «Les opérations militaires doivent être conduites en veillant constamment à épargner la population civile, les personnes civiles et les biens de caractère civil. [ ] Dans le cas dattaques pouvant affecter la population civile, un avertissement doit être donné en temps utile et par des moyens efficaces, à moins que les circonstances ne le permettent pas.»
Si dans le cas du bombardement du pont de Varvarin, lintention des agresseurs navait pas été de tuer et de blesser des civils, lattaque naurait jamais dû se produire. On a agi ici à lencontre de toutes mesures de précaution. Dans la préparation et lexécution de lattaque, on a tout fait pour sassurer que les cibles étaient des personnes et des biens civils. Et pour atteindre cet objectif, on a omis davertir la population civile. Les deux avions ont attaqué le pont sans préavis, perfidement, sournoisement, disent les victimes. Ils avaient complètement détruit le pont lors de la première attaque. Mais cela ne leur suffisait pas. Quelques minutes plus tard, ils ont attaqué une deuxième fois et, comme ils pouvaient sy attendre, ils ont tué et blessé dautres civils. «Comme ils pouvaient sy attendre» parce quil était naturel que de nombreuses personnes accourent vers le lieu du drame pour porter secours aux blessés. Ce deuxième bombardement a donc enfreint toutes les lois de la guerre formulées jusque-là. Ce nétait pas un «dommage collatéral» mais un crime de guerre.
Cest pour cette raison que les victimes de Varvarin ont décidé de réclamer des dommages-intérêts aux Etats qui ont participé à lintervention de lOTAN, donc aussi à lAllemagne, car dans cette attaque, les règles du droit international valables pour les conflits armés et celles du droit allemand ont été enfreintes de manière flagrante. Les victimes et leurs avocats avancent les arguments suivants: «Les Etats qui ont participé à la guerre aérienne de lOTAN contre la Yougoslavie sont à considérer comme complices pour toutes les opérations menées parce quils ont agi en commun selon un plan général. La question de savoir quelles actions les Etats ont commis individuellement est sans importance.» La République Fédérale na pas lieu dinvoquer le fait que ce ne soit pas la Bundeswehr mais les Tornados américains qui ont effectué lattaque. En effet cest un autre argument des victimes daprès le droit pénal, tous ceux qui ont participé directement ou indirectement à une action de guerre sont responsables du «résultat global».
Non seulement le tribunal de grande instance de Bonn en première instance mais la Cour dappel de Cologne, en seconde instance, ont repoussé laction en dommages-intérêts des victimes de Varvarin. Selon la Cour dappel (juillet 2005), «laction est recevable mais sans fondement.» Le juriste Stephan Rehmke, qui sest beaucoup intéressé à laffaire, a écrit dans Forum Recht: «Il faut tout dabord saluer le fait que la Cour dappel de Cologne ait reconnu en principe lapplication du Strafhaftungsrecht allemand également aux dommages dus à la guerre. Ainsi un tribunal fédéral a reconnu pour la première fois que les victimes dun crime de guerre commis avec la participation de lAllemagne peuvent en principe faire valoir un droit à dédommagement à lencontre de lAllemagne. Il est incompréhensible que la réglementation de ce droit par le Code civil et plusieurs articles de la Loi fondamentale ait été complètement ignorée dans le cas des victimes de Varvarin au motif quune participation allemande aux attaques aériennes de Varvarin ne serait pas suffisamment évidente alors quon ne peut pas sérieusement mettre en doute la responsabilité politique et militaire allemande dans ces crimes de guerre lorsque lon considère toutes les sources juridiques accessibles. Il faudrait donc chercher dautres raisons pour comprendre les motivations de ce verdict».
Les victimes de Varvarin, en tout cas, ont fait appel entre-temps à la Cour fédérale de cassation pour essayer dobtenir enfin gain de cause. Une décision sera prise au plus tôt à la fin de 2006. Zoran Milenkovic, maire de Varvarin et père de Sanja, la plus jeune victime du bombardement elle avait 15 ans , sattendait au verdict négatif de la Cour dappel de Cologne: «Il faut du temps pour quun tribunal allemand rende un jugement contre son propre pays.» Cest le 19 octobre que commenceront les procédures orales devant la IIIe Chambre de la Cour de cassation fédérale.
Lexpert en droit international Bernhard Graefrath a déclaré à propos de laffaire Varvarin: «Ce qui est terrible, cest quon transmette le message suivant: Rien na changé; ne croyez pas ce quon dit de la dignité humaine et du droit à la vie. A tous les peuples des petits pays et des pays en voie de développement à qui nous faisons la leçon sur le respect des droits de lhomme, ces procès apprendront limportance quun Etat de droit comme la République fédérale allemande accorde à la protection du droit à la vie. Nous violons le droit et la justice si nous permettons quun agresseur qui enfreint les lois puisse se décharger des conséquences de ses actes sur les victimes innocentes et ne soit même pas tenu de les dédommager. Cest inadmissible.»
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