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Par demhaitam le 22 Décembre 2006 à 15:09
Les heures amères de lintégration sud-américaine
Le récent sommet de la Communauté Sud-américaine des Nations (CSN), qui sest tenu à Cochabamba [Bolivie], a laissé un goût amer. La majorité des présidents de la région ont opté pour un type dintégration basé sur de grands travaux dinfrastructure, tandis que les mouvements sociaux mettent laccent sur les droits des peuples.
Monument à lintégration de lAmérique-latine à Montevideo, Uruguay. ©
P. Ribero, http://www.panoramica.be/pano30/frames/alternative.htmLe président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva a été le plus clair. Il mise sur une intégration basée sur lInitiative dIntégration de lInfrastructure Régionale Sud-américaine (IIRSA), qui consiste en 300 méga projets pour la connexion physique du continent. Financée par la Banque Interaméricaine de Développement (BID), la Corporation Andine de Financement (CAF) et la Banque Nationale de Développement Economique et Sociale (BNDES) du Brésil, ellel bénéficie de suffisamment de ressources (plus de 30 milliards de dollars) pour impulser de grands travaux (barrages, gazoducs, routes, ports, etc.) dont la finalité est dimpulser le commerce Atlantique-Pacifique, mettant les ressources sud-américaines à la disposition du marché mondial.
Les mouvements sociaux, indigènes, écologistes et plusieurs ONG ont critiqué linitiative à cause de ses profonds impacts sociaux et environnementaux. Ils affirment en plus que ce type dintégration basée sur le libre-échange, qui implique lexportation de denrées de base et de ressources naturelles, tend à aggraver les inégalités et la dépendance sur le continent. Plusieurs présidents, comme Hugo Chavez (Venezuela) et Evo Morales (Bolivie), en plus du président élu de lEquateur, Rafael Correa, ont exprimé des réserves sur lIIRSA. Le premier a signalé à lunisson avec les mouvements sociaux quil sagit dune initiative qui favorise les grandes multinationales qui cherchent à exporter les ressources du continent vers le Nord. Correa, pour sa part, a affirmé que la majorité des projets doivent être revus. En réalité, à Cochabamba, deux manières de voir lintégration se sont affrontées et il est apparu clairement que la plupart des présidents, et le pays qui dispose des plus grandes ressources (le Brésil), ont déjà opté pour une intégration sur mesure pour les marchés.
Obstacles au développement ?
A la fin novembre, Lula a dit dans lAmazonie brésilienne que les indiens, les quilombolas (descendants des noirs qui ont fui lesclavage), les écologistes et le Ministère public devaient cesser dêtre des « obstacles pour le développement ». Ses paroles ont été critiquées par les mouvements sociaux et par la Commission Pastorale de la Terre (CPT) [1]. De toute manière, cest ce que pensent les élites du continent. Ils écoutent les mouvements mais estiment que leurs analyses et positions ne doivent pas être prises en compte. Plusieurs projets de lIIRSA sont critiqués par des mouvements et des ONG, comme notamment la construction de deux grandes usines hydroélectriques sur le fleuve Madera (Brésil).
Le vice-ministre des Relations extérieures du Brésil, Samuel Pinheiro Guimaraes, a été aussi clair que son président : « Le progrès technologique que nous voyons partout dans le monde fait croître tous les domaines, de léconomie à la guerre. Nous avons besoin de nous construire comme un bloc pour faire face à cette réalité et la connexion physique du continent est indispensable » [2]. A de rares exceptions près, il nexiste pas chez les « étatistes » progressistes et de gauche la conviction que lesdits « progrès » et « développement » ne sont pas loption des peuples et que ceux-ci ont dautres priorités qui impliquent de rejeter ces deux concepts. Ils semblent avoir opté pour un pragmatisme simple qui les mène à se plier aux initiatives de ceux qui ont les fonds pour financer les grands travaux.
Des études sérieuses comme celles réalisées par le Foro Boliviano de Medio Ambiente y Desarrollo (Fobomade, Forum bolivien de lEnvironnement et du Développement) sur les travaux de lIIRSA ou des positions comme celles du Movimento dos Atingidos por Barragens (MAB, Mouvement des Affectés par les Barrages) ne sont même pas prises en compte. Cest encore pire pour les cosmovisions indigènes qui rejettent clairement les concepts de « progrès » et de « développement » et, par conséquent, les travaux qui sont supposés les impulser. Ce sont deux manières de voir le monde et les problèmes de notre région. Ceux den haut (il faudra continuer à utiliser ce langage malgré les exceptions) continuent à parcourir le même chemin quempruntent les élites depuis cinq siècles, même sil faut reconnaître que maintenant ils le font avec de meilleures manières, en faisant comme sils écoutent et, surtout, sans réprimer. Ce nest pas rien mais ce nest pas suffisant.
Des difficultés qui saccumulent
Lintégration régionale, même celle que défendent les gouvernements qui promeuvent la CSN et lIIRSA, traverse dénormes difficultés. Chavez a dit avant le sommet lors de ses visites à Brasilia et à Buenos Aires que son objectif est de « relancer » le Gazoduc du Sud, qui devra unir le Venezuela à lArgentine, en promouvant une nécessaire intégration énergétique. Si plus dun an après avoir lancé le projet, il croit quil est nécessaire de le « relancer », cest parce que les choses navancent pas comme prévu. Le Gazoduc du Sud est une pièce essentielle de lintégration puisque cest un projet qui connecte entre eux des pays sud-américains et pas ces derniers avec le marché mondial. Mais les études vont très lentement et il ne semble pas exister denthousiasme à le mettre en marche.
Même dans le domaine énergétique, les pays sud-américains continuent à dépendre des multinationales. LArgentine a privatisé ses ressources dans les années 90 ; la brésilienne Petrobras nest déjà plus une entreprise publique, puisque la majorité de ses actions sont dans des mains privées ; la nationalisation sans expropriation en Bolivie a laissé dans les mains des multinationales la plus grande partie de la chaîne du gaz, même si lEtat reçoit plus dargent quavant ; même au Venezuela, Petróleos de Venezuela (PDVSA) ne contrôle pas la totalité du riche bassin de lOrénoque, majoritairement dans les mains de multinationales. Il est certain que plusieurs gouvernements font dimportants efforts pour rompre avec les puissants de lénergie, mais les difficultés continuent à être énormes.
Comme la démontré le récent sommet de Cochabamba, les rythmes et les directions de lintégration dépendent des quelques pays qui ont les conditions pour sériger en références et leaders de la région. De ce point de vue et malgré lintense activité des mouvements, il ny pas beaucoup de raisons dêtre optimistes. La justice électorale du Brésil a commencé à divulguer les comptes de campagne des différents candidats. Le plus grand donateur de la campagne de Lula a été le secteur bancaire, avec quasi 5 millions de dollars. Le second a été celui des entreprises de construction, avec encore cinq millions, dont 1,6 millions de Camargo Correa [3]. Ce nest pas un hasard : le secteur bancaire a fait les plus grands profits de son histoire au cours des quatre ans de mandat de Lula ; les entreprises de construction brésiliennes sont les grandes bénéficiaires des méga projets contenus dans lIIRSA. Cest certain, lintégration sur mesure pour les marchés gagne des points.
Notes:[1] Comisión Pastoral de la Tierra, Os entraves para o desenvolvimento, segundo o presidente Lula, 1er décembre 2006, www.resistir.info.
[2] Carlos Tautz, Represas y gasoductos imparables, IPS, 8 décembre 2006, www.ipsnoticias.net.
[3] Folha de Sao Paulo, 29 de noviembre de 2006.
Source : Alai, Agencia Latinoamericana de Información (http://alainet.org), 12 décembre 2006.Traduction : Frédéric Lévêque, pour le RISAL (http://risal.collectifs.net).
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